Le Correspondant

Amirouche ou la sale guerre d’Algérie

Amirouche Ait Hamouda, héros de la guerre d'Algérie, terroriste pour les Français de l'époque

Légende ou terroriste ? C’est au choix quand on évoque le nom de Amirouche Ait Hamouda, chef rebelle pendant la guerre d’Algérie, traqué pendant 5 longues années par l’armée française de l’époque. Retour sur l’une des chasses à l’homme les plus impressionnantes de la 4ème République. Et la moins conventionnelle …

 

Qu’on le dise tout de suite : Le Correspondant ouvre ce dossier sensible pour apporter sa modeste contribution au travail de mémoire. Car un constat gouverne : aucune des deux parties – France, Algérie – ne semble disposée à laver son linge sale. En dit long la rage déclenchée par le rapport de Benjamin Stora sur la guerre d’Algérie, remis la semaine dernière à Emmanuel Macron. Logiquement, il était censé trouver la synthèse fédératrice pour concilier les mémoires. Mais vu de France, ce n’est qu’un torchon, un écran de fumée, qui ne fait « même pas mention aux exactions du FLN de l’époque ». Pour les algériens, c’est une « farce de l’histoire », qui veut enterrer les crimes coloniaux. Mais que Stora n’ait eu d’autres choix que d’équilibrer le propos, pour éviter de froisser les sensibilités, rien n’y fait : les deux pays continueront à se rouler par terre, tant qu’ils n’auront pas cueilli les fruits défendus de la colonisation : des excuses des deux côtés de la Méditerranée.

 

Et qu’importe leurs divergence sur l’exactitude des faits : il faudrait quand même trancher, cabosser l’ennemi de hier, puisqu’il faudra bien continuer à se convaincre que c’est de la faute de l’autre. Pourtant, pour peu qu’on s’attarde sur quelques épisodes de l’affaire « Amirouche », les choses deviennent limpides : aucun des deux camps n’a ménagé ses efforts pour exceller dans la cruauté. Partout où l’on se hasarde à la visiter, à n’importe quelle époque, n’importe quel recoin du pays, elle chantonnera toujours le même refrain : tous au banc des accusé !

 

Ce cauchemar  a commencé avec l’éclatement de la guerre, en 1954. A l’époque, Amirouche n’avait même pas 25 ans, quand il a pris les armes pour libérer son pays de l’occupation. Rapidement, il fait corps avec la guerre : la veille, il frappe dans un endroit ; le lendemain, on retrouve sa trace dans une région, encore plus lointaine. Parfois, il tape fort, là où il n’était pas attendu. En un rien de temps, il fait couler des rivières de sang et devient le symbole de la révolution. Mais vu de France, Amirouche n’est qu’un seigneur de guerre, qui ne respecte rien : ni les règles de la guerre, ni l’âge ou le sexe de ses victimes. Il n’est rien d’autre qu’un minable terroriste. Un homme à abattre.

 

C’est ainsi que les officiers français ont décidé d’opérer un déploiement de force en Kabylie. Pour pulvériser les groupes et leur chef, tous les villages sont fouillés et saccagés, certains sont entièrement rasés. Les femmes violées, les hommes torturés. Mais au bout d’une dizaine de jours de canonnades et de bombardements au Napalm, rien. Pas de traces d’Amirouche. Pis. Le fantôme a redoublé de fureur. Maintenant, il ne fait l’économie d’aucun moyen pour exécuter les français. Citoyens ou soldats. Les voici tombés par dizaines. Troués de balle, égorgés, strangulés. Dans l’appareil du FLN, il est propulsé à la tête de la Willaya 3, l’un des maquis les plus actifs de la guerre d’Algérie. Rien que cela !

 

Bientôt, l’opinion publique et la presse s’emballeront : la France va-t-elle battre en retraite ? Dans les manchettes, Amirouche n’est plus présenté comme un simple hors-la-loi, mais comme un chef de guerre stratégique et charismatique : on parle même d’Amirouche « le terrible », du « loup d’Akfadou », le « lion des Djebels ». Et non d’un terroriste. Comment faire pour ne pas rendre le treillis en Algérie ? Les officiers ont peut-être une idée : cesser la traque militaire et tenter de le détruire de l’intérieur. C’est ainsi qu’ils décident d’introduire son “cas” dans le programme de la Bleuité, cette stratégie de manipulation qui consistait à infiltrer le FLN. Une machine terrifiante, qui va exploiter la paranoïa maladive du FLN et aboutir à la liquidation physique de milliers d’Algériens.

 

 

Nous sommes en 1955. Dans le plus grand secret, l’Etat-major de l’armée crée une cellule particulière. Elle est composée des professionnels de la chasse à l’homme, chargés de poser les bases stratégiques de la méthode qui permettra de le retrouver. Il s’agit alors de « cartographier » ses relations : sa famille, les responsables du maquis, ses ennemis, bref, tous ses contacts avec le monde extérieur, susceptible de le dénoncer ou de fournir des informations à son sujet.

 

C’est l’une des premières fois dans l’histoire de la guerre de la colonisation qu’une méthode aussi « sophistiquée » est utilisée par les troupes françaises. Ils ont commencé par remonter dans son histoire, 20 ans en arrière. Dans les montagnes, ils se sont attachés à comprendre qui il était, d’où il venait et comment il avait réussi son ascension fulgurante dans l’appareil clandestin du FLN.

 

Gamin, dans les années 40, il a assisté au massacre de ses « cousins ». Adulte, il s’est engagé avec le parti nationaliste du Très religieux Messali Hadj. Les enquêteurs avaient également fait une découverte de taille : son arrestation et son séjour dans les geôles françaises où il avait découvert l’ordre colonial et sa gégène. Terrible. Au bout, ils ont eu les premiers éléments de compréhension du personnage. Sa révolte, sa soif de vengeance, puis son enrôlement dans le FLN, dès le début de la guerre en 1954. Un parti qu’il va servir fidèlement jusqu’à ce qu’il tombe dans l’enfer de la Bleuité, œuvre d’un roi de la manipulation : le Capitaine Paul-Alain Léger, mort il y a une quinzaine d’années.

 

paul alin leger
C’était un ancien d’Indochine rompu au combat dans les rizières : il était aussi un « as » des services du Service de Renseignement français du célèbre colonel Gondar, patron des GRE, le Groupe des renseignements et d’Exploitation. En Algérie, il arrive au moment de la bataille d’Alger, une période trouble où la mort frappait partout. En quelques semaines, il a réussi à déboulonner le réseau des poseurs de bombes de Youcef Saâdi. Sa méthode était simple et pernicieuse : il retournait des prisonniers algériens – contre leur liberté -, puis les remettait dans le réseau d’Alger, avec la mission de lui remonter les infos. Ce nouveau moyen de lutte contre les guérillas urbaine a fini par faire taire le bruit de bombes et sauvé des milliers d’innocents – qui se faisaient déchiqueter dans les rues d’Alger.

 

Contre Amirouche, sur lequel il a toujours appelé les flammes de l’enfer, il sort du chapeau un plan encore plus retors : faire semblant de forcer d’autres maquisards authentiques à devenir des infiltrés, puis les laisser « prendre la malle » pour prévenir les leurs. C’est le piège de la Bleuité : faire croire que le maquis est infiltré. Un piège qui vise à semer la méfiance dans le corps de la résistance, pour obliger l’ennemi à précipiter, de sa main, sa propre démolition.  Tout un «art» !

 

Le résultat tire encore de la bave aux algériens : juste après ce deuxième round de la bleuité, Amirouche, le paranoïaque, a commencé à voir des Mata-Hari partout, persuadé que le corps de la rébellion est gangrené. Immédiatement, il désigne les coupables : des journalistes, des étudiants, des médecins ou des professeurs. Le soir venu, tous sont suspendus par les chevilles et les poignets et offerts aux feux des braises. Le diable de résistant devient un boucher, un faire-part de la mort.

 

Plus tard, l’ordre est donné à tous les autres chef de guerre de faire de même : « éradiquer la mal avant qu’il ne dévore la révolution ». Message : tuez tous les traitres. Mais pour ne pas gaspiller les munitions, ils savent ce qu’il leur reste à faire : trancher le larynx. Les chiffres ? 3000 morts en Kabylie, 2000 dans les Aurès, 1500 dans l’Algérois et 500 dans l’Oranais. Un massacre … qui a précipité les familles des victimes dans le giron de l’ennemi, pour étancher leur soif de vengeance. Dès lors, Amirouche est une cible pour ses compatriotes.  Un « sanguinaire » dans les journaux. A l’intérieur même de l’appareil du FLN, il est devenu lui-même « le mal qui risque de dévorer la révolution ». Lui qui se veut en être le miroir et le meneur…

 

L’opération Brumaire, 1959, durant laquelle il a été tué, colle au bruit qui court en Algérie depuis plus de 80 ans : une dénonciation de Amirouche par ses propres pairs. La nature impressionnante de l’opération souscrit à la rumeur : il y avait 11 000 soldats, 27 colonels, 7 généraux et d’innombrables unités de l’armée, qui l’attendait sur le pied de guerre… depuis deux jours. Preuve que les « mouchards » font partie des cadres du Front. Deux noms circulent: Abd El Hafidh Boussouf et Houari Boumediène, les mêmes qui ont surgit de leur grotte pour  » voler » l’indépendance de l’Algérie, en 1962, en s’emparant du pouvoir. Leur gouvernance était empreinte du système colonial – avec ses tortures et ses exécutions sommaires. Le sort réservé à la dépouille de Amirouche est une seconde mort : ils l’ont jeté dans l’obscurité d’une caserne, à 70 cm de profondeur, et l’ont laissé se décomposer … pendant plus de 30 ans.

 

Ce sont ces crasses historiques – et d’autres – que les « barrons d’Alger » s’escriment à passer sous le boisseau, en exigeant le mea culpa français, pour des crimes qu’ils ont quelques fois cautionnées. Battre leur propre coulpe, c’est se priver de cette carte qu’ils ont toujours joué pour continuer à gouverner et à transmettre le pouvoir « de père en fils » de la révolution : la « légitimité » historique.

 

Même spectacle pathétique de la part des français d’Algérie, victimes expiatoires de l’indépendance, disent-ils. Une reconnaissance des crimes de la colonisation reviendrait à dévoiler leurs « cadavres » – trahison, spoliation de terres, massacres – bien planqués dans les tiroirs de l’histoire. Et, bien sûr, inutile d’espérer des algériens un « geste » envers ces « traitres » de Harkis – supplétifs algériens de la France : il susciterait un tremblement de terre dans l’opinion publique, qui respire encore au rythme de sa « glorieuse révolution » – forcément belle et rebelle

 

C’est bien cette tragique absurdité, souvent portée par les ultras des deux bords, qui continue à hacher toute possibilité de « réconciliation » entre les deux pays. Elle est complètement calquée sur les aberrations de cette époque : deux parties figées dans leurs haines, qui refusent de supporter le regard de l’histoire… de peur de baisser les yeux.
Ou de rendre des comptes !

 

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