Elles vivent un enfer du début à la fin de leur formation. En tous cas, pour celles qui vont au bout… car 40% d’entre elles lâchent l’affaire, souvent avant la fin du premier trimestre. Dans chaque école, environ 1200 personnes passent le concours, 120 seulement arrivent à l’obtenir. Et à l’échelle nationale, sur les 30 000 qui rentrent, chaque année, en IFSI ( Instituts de Formation en Soins Infirmiers ), seulement 20 000 arrivent à obtenir leur diplôme. Mais alors, pourquoi ?
Les contraintes économiques sont en première ligne. À ce jour, aucun système de prise en charge financière de cette formation n’est prévu par l’Etat. La seule aide mise à leur disposition est une bourse annuelle de 2000 euros : trop insuffisant pour répondre aux besoins du quotidien. Selon la Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers, les dépenses mensuelles en Province équivalent à 1025 euros – et 1268 euros en Île de France. Cela, sans compter les frais annexes, comme les droits d’inscription, le transport, la complémentaire santé… Qui oscillent entre 2600 euros et 3200 par an, selon que l’on habite en province ou dans la région parisienne : le plus gros de la somme est absorbé par les frais d’inscription, qui peuvent aller jusqu’à 1270 euros, notamment dans les IFSI privés, une somme 10 fois plus élevée que dans les IFSI publics.
Mais cet excès n’est pas la seule raison, qui pousse les élèves à jeter l’éponge. Certaines partent avant même qu’elles ne s’inscrivent sur la liste des futures étudiantes. Laurie a failli tout lâcher. En cause : sa directrice d’école, qui l’a poussée vers la sortie. Prétexte : l’étudiante était enceinte. Selon l’avenante directrice, ” la loi interdit ” de prendre une élève en attente d’un heureux événement. Bien sûr, aucune loi n’existe dans ce sens et l’élève a dû saisir le Ministère de la Solidarité et de la Santé, pour obtenir gain de cause.
Autre élément : parmi les étudiantes, 20% sont en reconvention professionnelles et, face à la crise du travail, elles choisissent le métier d’infirmière. En effet, c’est un secteur qui offre des débouchés plus pérennes. De plus, il suffit d’avoir le bac et de passer avec succès les tests psychotechniques et de culture générale. En revanche, sur le terrain, les choses se compliquent : les élèves, souvent sans notion médicales doivent se construire par elles-mêmes : à cause des suppressions de postes dans les IFSI, les professeurs sont remplacés par des DVD. Et qu’importe si beaucoup ignorent le moindre détail du jargon médical, elles doivent se contenter d’un apprentissage en accéléré.
Moralité, les élèves redoublent d’efforts : elles travaillent de 8h à 17h et, le soir, elles sont contraintes de dégager des heures supplémentaires, pour mettre de l’ordre dans le puzzle. Autant dire que la pression est grande. D’autant plus grande qu’elles sont obligées, au milieu d’un agenda très chargé, de dénicher elles-mêmes les stages en hôpital. Hôpitaux où elles subissent un esclavage moderne.
En théorie, ces stages doivent leur permettre d’acquérir les premières armes. Sur le terrain, la réalité est tout autre : elles sont reléguées à des tâches ingrates. Comme Julie, une jeune parisienne de 37 ans. Durant les premiers six mois de son stage, elle avait « l’impression d’être réduite en larbin ». « Je n’étais initié à aucun geste technique : je passais le plus clair de mon temps à faire la toilette des malades ». Ordre des infirmières en activité, pour « se débarrasser du travail sale qu’elles veulent éviter de faire ».
Et gare aux récalcitrantes : les infirmières en activité sont leurs chefs et leur avis compte dans l’évaluation de l’élève. Une mauvaise note ou une mauvaise appréciation et c’est l’année qui part en vrille, quand ce n’est pas le conseil de discipline qui fait tomber le couperet.
C’est le cas de Marie-Caroline, qui a tout lâché pour suivre cette formation. Maison, chien et famille. Durant son stage, elle a eu le malheur de refuser d’enlever ses gants pour nettoyer l’œil d’une femme séropositive. L’équipe n’a pas apprécié sa rébellion. Elle a été signalée à la directrice et, sous pression, elle a fini par abandonner son stage. ” Je n’avais pas de travail avant, mais aujourd’hui, je n’ai ni travail, ni maison, ni famille”.
Même mésaventure pour Christophe, jeune stagiaire dans une école du nord de la France. Sous les ordres d’un médecin, il a administré un mauvais médicament à un patient. Quelques heures plus tard, le malade décède. Et ce n’est pas le médecin qui a été pénalisé : ” je me suis retrouvé à la porte, interdit d’exercer le métier à vie”. Le verdict est lourd quand on sait que de nombreux élèves mal formé (e)s sont chargé(e)s de prodiguer des soins auxquels ils ne sont pas initiés.