Dans le grand livre du Donald Trump, les faits ne servent pas à décrire le monde, mais à le réécrire. Ici, la réalité est un décor qu’on repeint chaque matin, tantôt en apocalypse, tantôt en triomphe. Bienvenue dans les Contes du Donald.
Le lundi 11 août, sous les dorures de la Maison-Blanche et les caméras du monde entier, Donald Trump a annoncé la couleur : « Nous allons nettoyer ça bien rapidement. »
Le « ça » désignant la capitale américaine, Washington D.C., que le président décrit comme une cité livrée à des gangs armés, infestée de sans-abris et rongée par l’insécurité. Et comme dans tout bon conte trumpien, il fallait un geste spectaculaire : ce sera l’envoi de la Garde nationale, sous contrôle fédéral direct, pour « rétablir la paix » et « rendre la ville plus sûre et plus belle qu’elle ne l’a jamais été ».
À ses côtés, un casting soigneusement choisi pour la mise en scène : Pete Hegseth, secrétaire à la Défense, et Pam Bondi, procureure générale, deux fidèles parmi les fidèles. Derrière eux, le drapeau américain en grand format, et devant eux, une rhétorique martiale : Washington serait au bord du chaos, menacée comme jamais. Et tant pis si la capitale ressemble plus à un décor de carte postale qu’à Bagdad en 2004.
Car, selon les chiffres officiels – ces mêmes chiffres que le président juge souvent suspects –, la réalité est beaucoup moins hollywoodienne. Muriel Bowser, la maire démocrate de Washington, s’est empressée de le rappeler sur MSNBC : la criminalité est au plus bas depuis trois décennies. Moins 26 % de crimes violents cette année, moins 35 % l’an passé. « C’est vrai que nous avons eu un terrible pic en 2023 », concède-t-elle, « mais nous ne sommes plus en 2023. ». Une précision utile, tant l’horloge de Donald Trump semble parfois bloquée sur la date qui sert son récit.
Mais alors, pourquoi ce déploiement militaire inédit dans une ville américaine ? La réponse se trouve peut-être dans la vieille obsession trumpienne pour les images-chocs. Les pelouses impeccables de la capitale, que le président dit « souillées par trop de tentes », doivent redevenir dignes d’accueillir les visites officielles. Mais les photos d’hommes en treillis patrouillant près du Capitole envoient un autre message : celui d’un chef implacable, maître de l’ordre, protecteur d’un pays assiégé.
Washington n’est pas une ville comme les autres : fondée en 1790 pour devenir le siège du pouvoir fédéral, elle vit sous un statut particulier. Depuis 1973, ses habitants élisent bien un conseil municipal, mais sous la surveillance constante du Congrès. Une tutelle qui a souvent conduit à des bras de fer politiques, comme lors de la légalisation du cannabis en 2015. Et il se trouve que cette ville vote massivement démocrate – Kamala Harris y avait obtenu plus de 90 % des voix en 2024. Autant dire que, pour Donald Trump, ce n’est pas une terre électorale, mais un décor politique.
L’épisode n’est pas sans précédent. En juin dernier, la Garde nationale avait déjà été déployée en Californie, sans l’accord du gouverneur Gavin Newsom, pour contrer des manifestations anti-raids migratoires. L’opération avait été jugée illégale par un juge fédéral, qui avait ordonné le retour du contrôle de la Garde à l’État. Mais dans l’univers narratif du Donald, l’issue judiciaire compte moins que la scène elle-même : un président défiant ses adversaires, entouré de soldats, face à une menace que lui seul semble voir.
Reste une question : quand la réalité contredit le scénario, faut-il la réécrire… ou l’ignorer ? Chez Trump, le choix est vite fait. Dans son livre, Washington est assiégée, et lui seul peut la sauver. Dans la vraie vie, la ville connaît sa criminalité la plus basse depuis 30 ans. Mais que vaut un fait brut, face à une bonne fable bien racontée ?