La République en coloc forcée à Bagdad

Sous le soleil irakien, la façade de l’ambassade de France brille. Moins reluisant : Paris est accusé d’y occuper un bien juif spolié depuis un demi-siècle. Et au Quai d’Orsay, on s’en tire avec un haussement d’épaules diplomatique.

 

C’est un bâtiment de 3 800 mètres carrés, un jardin de 1 150, et une histoire que la France aurait préféré laisser dans ses archives. L’ambassade de France à Bagdad, rouverte en 2004 après treize ans d’interruption des relations diplomatiques, serait en réalité installée dans une propriété appartenant à deux frères juifs irakiens, Ezra et Khedouri Lawee, exilés au Canada à la fin des années 1940. Leurs descendants accusent aujourd’hui l’État français de « squatter » le bien sans payer le moindre loyer depuis 1969. Montant de la facture : 21,5 millions d’euros, plus 7 millions pour le préjudice moral.

 

« Malheureusement, la République française squatte un immeuble qui n’est pas le sien », lâche Me Jean-Pierre Mignard, l’avocat des ayants droit. Un mot, squatte, que le Quai d’Orsay juge « inapproprié ». Le ministère des Affaires étrangères se défend : un contrat de location aurait bien été signé en 1965, mais les autorités irakiennes de l’époque, alors en pleine frénésie antisémite, interdisaient le versement de loyers à des propriétaires juifs expatriés. Résultat : un bail sans loyer, un propriétaire sans droits, et un locataire à perpétuité.

 

Du côté des héritiers Lawee, on a longtemps préféré le silence. « Mes clients sont francophiles, ils n’ont jamais voulu faire de scandale », insiste, dans Libération, Me Mignard. Mais à force de voir Paris se présenter comme le champion de la mémoire et de la justice internationale, tout en gardant la clé d’une maison confisquée, la patience a tourné court. En mai 2024, l’avocat a saisi le tribunal administratif de Paris. En février 2025, il a déposé une requête en référé-provision, une procédure accélérée.

 

Au Quai d’Orsay, cette affaire « n’empêche manifestement personne de dormir », ironise Mignard, selon Libération qui souligne qu’un seul ministre, Jean-Yves Le Drian, avait tenté de s’en saisir avant de quitter le gouvernement. Son successeur, Jean-Noël Barrot, plus prudent, préfère la langue de velours : « Pas de commentaire sur une procédure en cours. »

 

Reste une évidence embarrassante : l’ambassade française à Bagdad, symbole du retour de Paris au Proche-Orient après 2004, est bâtie sur une terre spoliée. Celle d’une famille juive chassée dans la tourmente du monde arabe d’après 1948, comme tant d’autres dont les biens furent confisqués par l’État irakien. Une tragédie historique dont la France, cette fois, n’est pas spectatrice, mais bénéficiaire.

Mais pas de quoi s’inquiéter : à Bagdad, la façade de l’ambassade reste impeccable. Les fleurs sont taillées, le drapeau bien droit. Et derrière, un silence qui, décidément, vaut de l’or…

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