Au départ, l’affaire semblait simple. Un écrivain algérien, Boualem Sansal, naturalisé français depuis un an, emprisonné dans son pays d’origine, victime d’une répression politique. En soutien, un comité mené par Noëlle Lenoir, ancienne ministre française, qui proclamait haut et fort la défense de la liberté d’expression.
La première étape fut une déclaration prudente, portée par une volonté affichée d’user de la voie diplomatique. Puis, des tracts circulèrent, véhiculant un message de plus en plus virulent. Puis les mots dans la presse se firent plus crus, plus durs. La posture de ce comité de soutien ne voulait plus simplement qu’Alger libère Sansal, mais qu’il plie sous la pression, qu’il subisse une véritable mise à l’écart.
Rapidement, le ton a basculé dans une radicalité sans nuance. Le dialogue, la négociation sont devenus des « compromissions », des « mollesse » qu’on a reprochées notamment à Jean-Noël Barrot, ministre français délégué chargé de l’Europe, accusé de ne pas en faire assez dans son rapport de force avec Alger. Le comité a revendiqué une « riposte graduée » sans concession, sous un angle belliqueux qui s’éloignait de la simple défense d’un écrivain.
Mais ce n’est que vendredi dernier que la vraie nature du comité a été mise à nu. Noëlle Lenoir a dépassé la simple critique du régime algérien en affirmant que les Algériens de France — sans distinction, sans nuance — seraient des « terroristes potentiels », capables de « sortir un couteau dans le métro, dans une gare, dans la rue, n’importe où, ou de prendre une voiture pour foncer sur la foule ». Une accusation grave, lourde, qui dépasse largement la sphère politique pour sombrer dans le racisme le plus abjecte.
Ce n’était plus le régime qu’on combattait, mais le peuple algérien tout entier. Une généralisation haineuse, révélatrice d’un ressentiment latent, longtemps tu mais aujourd’hui exposé en pleine lumière. Ces propos, loin d’être une maladresse isolée, semblent plutôt cristalliser la pensée qui domine dans ce comité.
Ironie du sort, les autorités algériennes, habituellement promptes à censurer toute critique, avait annoncé la couleur dès le départ : ce comité n’était pas un allié sincère de la liberté. Il l’avait prédit, et qu’on les ait crues ou pas, le constat est bien là : la radicalisation et les dérapages racistes ont donné raison à Alger.
Au Correspondant, on en est arrivé à un autre constat : ce comité, qui aurait dû être un pont entre deux rives, s’est transformé en machine à nourrir la division, à alimenter la défiance. Bien plus, il est devenu un allié involontaire, mais précieux, du régime algérien, qui s’en sert aujourd’hui pour discréditer la contestation et justifier son autoritarisme.
Les conseillers d’El Mouradia n’auraient pas pu faire mieux.
Pire encore, ce comité s’est mué en levier d’un anti-algérianisme d’importation, qui dépasse largement la simple défense de Sansal. Pour preuve, l’indignation suscitée par Noëlle Lenoir a été unanime, dans les milieux politiques, associatifs et médiatiques. Mais curieusement, au sein même du comité, aucun rappel à l’ordre, aucune autocritique ne sont venus tempérer cette dérive. Benedetti, d’ordinaire prompt à dénoncer toute atteinte aux droits humains, est resté silencieux. Driencourt, autre figure du soutien, prie qu’on l’oublie.
Plus encore, selon des témoignages recueillis auprès de sources proches du comité, la défense de Sansal lui-même n’occupe plus que peu de place lors des réunions. Ce qui compte désormais, c’est la « stratégie » de combat contre Alger, quitte à abandonner l’essentiel : la situation concrète d’un homme en prison. Ce basculement n’est pas un hasard.
Boualem Sansal, celui qu’ils prétendent défendre, est devenu un prétexte — un étendard utilisé pour régler des comptes idéologiques, et pour alimenter un discours qui ne dit pas son nom : la défiance envers une communauté toute entière.
Ce retournement tragique laisse le pouvoir algérien leurré dans sa posture autoritaire, lui offrant sur un plateau un argumentaire pour diaboliser toute dissidence, tout combat pour la liberté. Mais surtout, il donne à l’extrême droite française un cheval de bataille parfait pour dresser Français « de souche » et Français d’origine algérienne, exacerbant des tensions déjà bien vives.
Dans cette équation, les véritables perdants sont évidents : Sansal d’abord, dont la cause est détournée ; les Algériens de France ensuite, stigmatisés et insultés ; et la liberté enfin, qui se retrouve piégée dans une instrumentalisation idéologique dévoyée.