Elle se présente comme une « dissidente », mais brasse des millions sur les réseaux en ressassant les pires fantasmes de la complosphère. Star de l’extrême droite américaine, Candace Owens s’est spécialisée dans le mensonge rentable, jusqu’à franchir une ligne rouge diplomatique : le couple Macron vient de déposer plainte contre elle pour diffamation aux États-Unis. Portrait d’une influenceuse devenue symbole de la post-vérité globale.
Elle grimpe les marches du chaos en talons aiguilles. Candace Owens, 35 ans, silhouette affûtée et verbe affilé, a fait de l’outrance un fonds d’écran permanent. En guerre contre les vaccins, l’antiracisme, les droits LGBT+ et désormais contre le président français lui-même, elle est l’incarnation 2.0 de cette Amérique trumpiste qui préfère les invectives aux faits, les likes à la loi, et les procès comme tremplins. Avec la plainte déposée par Emmanuel et Brigitte Macron dans le Delaware pour diffamation – une première pour un chef d’État en exercice – Owens n’est plus simplement une starlette de la complosphère, mais un cas diplomatique.
À Stamford, Connecticut, où elle voit le jour dans une famille afro-américaine, rien ne la prédestine à devenir l’égérie préférée des talk-shows MAGA. Adolescente, elle subit du harcèlement raciste. Étudiante, elle flirte avec des positions progressistes. Puis quelque chose bascule – comme souvent dans les trajectoires de droite radicale : un ressentiment, un besoin de reconnaissance, ou simplement le goût du fracas. Candace troque ses premiers engagements pour une rhétorique électrisante : les Noirs, dit-elle, sont piégés par la victimisation. Le féminisme est un poison. Et les démocrates ? Un cartel paternaliste.
À partir de là, tout s’accélère. Elle entre dans la galaxie de Turning Point USA, le think tank bling et climatosceptique de Charlie Kirk, puis fonde BLEXIT, un mouvement visant à faire « sortir » les Afro-Américains du vote démocrate – sorte de Brexit ethnique sponsorisé par Fox News. Donald Trump, jamais avare en flatteries intéressées, la qualifie de « penseuse brillante ». Elle l’encensera jusqu’à la dévotion, le qualifiant de « meilleur président pour les Noirs depuis Lincoln ».
Mais le cœur de la machine Owens n’est pas politique, il est algorithmique. Elle pense en miniatures YouTube, parle en punchlines et vend du doute comme d’autres vendent du savon. C’est dans cette logique de rentabilité virale qu’elle exhume, début 2025, une théorie vaseuse lancée en 2021 par une certaine Natacha Rey : Brigitte Macron serait un homme, Jean-Michel devenu Brigitte. Avec Xavier Poussard, pamphlétaire français adepte des insinuations, elle produit une série de vidéos intitulées Becoming Brigitte, point d’orgue d’un complotisme chic et racoleur, qui fait fureur sur X (ex-Twitter) et YouTube.
Cette obsession répétitive, presque maladive, lui vaut aujourd’hui les foudres de l’Élysée. L’affaire pourrait n’être qu’un énième soubresaut de la guerre des narratifs si le document déposé dans le Delaware ne faisait pas 200 pages, avec 22 chefs d’accusation, et des demandes de dommages-intérêts « exemplaires ».
Brigitte et Emmanuel Macron accusent Owens d’avoir, en toute connaissance de cause, orchestré une campagne de diffamation. En langage moins feutré : d’avoir menti pour de l’argent. Owens, de son côté, crie à la censure française, jure qu’elle se battra « devant le monde entier », et continue d’appeler la Première dame « le transsexuel ». Difficile de dire si elle croit à ce qu’elle raconte, mais ce qui est certain, ce qu’elle sait ce que son public veut entendre.
Depuis 2020, Candace Owens a embrassé toutes les controverses possibles : elle a qualifié les vaccins de « poisons », nié l’existence des chambres à gaz, accusé Bill Gates de plan mondial de stérilisation, moqué l’exploration lunaire, insinué qu’Emmanuel Macron était un pantin d’un programme MK Ultra. Elle est partout où le réel vacille.
Son mari, George Farmer, fils de lord britannique et ex-PDG du réseau social Parler, complète le tableau : un couple chrétien, droitier, blanc-noir, riche, influenceur, milliardisé à force de hashtags déclinistes. Ensemble, ils incarnent ce que l’ère Trump a produit de plus efficace : une contre-élite qui se rêve persécutée, des millionnaires en croisade contre les élites, des « dissidents » sponsorisés.
Mais l’ascension d’Owens ne fait pas l’unanimité à droite. Certains, même chez les Républicains, s’agacent de ses provocations antisémites ou de ses rapprochements douteux avec la sphère néonazie d’Internet. En novembre dernier, elle est persona non grata en Australie et Nouvelle-Zélande. Le motif ? Négationnisme.
Le procès Macron-Owens sera donc plus qu’une affaire juridique. Ce sera une pièce de théâtre de l’époque. Un duel entre la fonction présidentielle et la fonction virale. Entre le prestige diplomatique et le clic-roi. Et, au fond, une question d’époque : jusqu’où la liberté d’expression peut-elle protéger le mensonge, quand celui-ci devient business modèle ?
Candace Owens, elle, semble déjà avoir la réponse. Elle l’a imprimée sur des T-shirts. En majuscules. En noir sur blanc : « I SAY WHAT YOU CAN’T ».