« La France qui a faim » : de l’écrit au réel, quand les chiffres rattrapent la honte

Un livre ignoré, une prouesse : La France qui a faim de Bénédicte Bonzi raconte ce que l’on préfère taire. Six ans après, rien n’a changé : la misère alimentaire est partout, et l’État ne la voit toujours pas.

 

En 2019, Bénédicte Bonzi publiait un livre-enquête étouffé dans les linéaires, ignoré par les talk-shows, jugé trop sale pour les plateaux de 20h :  La France qui a faim (éditions du Cerf), L’autrice, docteure en anthropologie, avait passé deux ans dans les couloirs sinistrés d’une grande banque alimentaire pour raconter, sans filtre, une réalité française qu’on préfère planquer derrière les rideaux ignifugés des ministères : la faim. Pas la « précarité alimentaire ». La faim, brute, déshumanisante, honteuse.

 

Ce que Bonzi racontait alors — avec des mots qui griffent, des visages qui n’existent dans aucun PowerPoint de Matignon —, c’était le ventre vide de la République. Celui des enfants qui arrivent sans petit-déjeuner à l’école. Des femmes qui se battent pour un pack de lait. Des retraités qui choisissent entre chauffage et protéines. Cinq ans plus tard, les chiffres sont venus valider ce que les puissants avaient refusé d’entendre. En 2025, la France est officiellement redevenue un pays où l’on a faim.

 

Une gifle statistique pour ceux qui disaient “exagération”

Le dernier rapport de l’INSEE est sans ambiguïté : 15,4 % des Français vivent sous le seuil de pauvreté, soit 9,8 millions de personnes. Un chiffre record depuis 1996. La France n’a pas seulement glissé, elle a basculé. Le gouvernement a beau ruser avec des “allocations différentielles” et des “filets de sécurité”, la réalité est là : la pauvreté augmente, et la faim revient dans un pays classé parmi les sept premières puissances économiques mondiales.

 

Bonzi, en 2019, décrivait déjà cette « classe de la relégation », ces invisibles de la file d’attente, ces “racisés”, précaires, migrants ou retraités déclassés, que l’État tient à distance à coup de formulaires dématérialisés et de contrôles humiliants. Elle écrivait sur les corps affamés comme on écrit sur des populations en guerre. Parce que c’est de ça qu’il s’agit : la guerre contre les pauvres, et non contre la pauvreté.

 

Le lien est direct 

Depuis la publication du livre, rien n’a été freiné. Fin des aides exceptionnelles post-Covid, réforme de l’assurance chômage, explosion des prix alimentaires, loyers inchangés, aides au logement non revalorisées : une politique de la nasse, avec un discours d’experts en « inclusion sociale » pour faire diversion.

 

Et surtout, le refus persistant de reconnaître la faim. Car reconnaître qu’on a faim en France, c’est mettre à bas la fiction du pays protecteur, du “modèle social français”. Bénédicte Bonzi le disait crûment : “La faim n’existe pas pour l’État.” En 2025, les chiffres lui donnent raison. Il aura fallu que l’INSEE sorte sa calculette pour que le politique commence à balbutier un début de malaise. Mais aucun frémissement d’action réelle

 

La misère ne pleure pas, elle attend

Ce que La France qui a faim documentait avec une précision anthropologique, ce que le rapport de 2025 chiffre avec une froideur clinique, c’est l’aveuglement volontaire d’un système qui préfère gérer la pauvreté que l’éradiquer. Le gouvernement réagit à la pauvreté comme un pompier pyromane : il allume les coupes budgétaires et arrose ensuite les ruines avec des miettes.

 

Pendant ce temps, dans les files d’attente des restos du cœur, les « bénéficiaires » — ce mot technocratique qui transforme les affamés en fraudeurs potentiels — n’ont même plus droit à un panier complet. Il manque de tout. De lait. De couches. De viande. Mais il y a encore, parfois, un peu de chocolat à date périmée, un lot de consolation pour une société qui n’a plus rien d’universel.

 

Ce pays est bien nourri. Mais pas tout le monde

Pendant qu’on recense 10 millions de pauvres, les dividendes battent des records. Les yachts grossissent. Le prix du foie gras s’envole. Il n’y a pas pénurie pour tout le monde. Il y a simplement des bouches qu’on accepte de laisser vides. Dans un monde où les statistiques affirment que “la France va bien”, ce sont les tripes qui racontent autre chose.

 

Bénédicte Bonzi avait vu juste. Ce n’était pas une prophétie, c’était un constat ignoré. En 2025, il revient, en pleine face, sous forme de chiffres. Reste à savoir combien de millions de ventres vides il faudra encore pour que l’État cesse de traiter la misère comme une anomalie temporaire — et non comme le produit direct de ses politiques.

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