La CAN 2025 au Maroc devait être la fête du football africain et une vitrine pour le royaume chérifien. Tout était prêt pour impressionner sponsors, journalistes et supporters… mais dès les premiers matchs, les tribunes sont apparues clairsemées et les stades, malgré certaines entrées gratuites, sont restés étonnamment vides
Le constat est implacable. Au Stade Prince Moulay Abdellah à Rabat, inauguré pour l’événement avec une capacité de 67 000 places, l’affluence officielle pour le match d’ouverture affichait 60 180 spectateurs, mais des journalistes sur place estiment que près de 9 000 sièges sont restés inoccupés. À Casablanca, au Stade Mohammed V (45 000 places), le derby Maroc‑Algérie n’a rassemblé que 28 000 fans selon les images diffusées sur les réseaux sociaux. À Marrakech, le Grand Stade de 45 240 places a accueilli moins de 20 000 spectateurs pour Côte d’Ivoire‑Ghana, tandis qu’à Agadir, pour Égypte‑Zimbabwe, seulement 15 000 personnes ont franchi les portes. Même pour des bankables, comme Mohamed Salah ou Achraf Hakimi, la foule n’a pas fait le déplacement.
Les raisons sont multiples. Les plateformes de vente en ligne ont été saturées, compliquant l’accès, et certains matchs hors Maroc n’ont attiré que peu de spectateurs malgré les entrées gratuites, avec des sièges invendus ou revendus illégalement. Mais le facteur déterminant reste le coût du billet : entre 15 et 35 euros (160 à 380 dirhams), qui, une fois ajoutés aux frais de transport, d’hébergement et de restauration, mettent ces rencontres hors de portée pour une partie importante de la population. Ce verrou économique illustre la fracture sociale qui se cache derrière les gradins vides
Car les réalités économiques et sociales du pays sont particulièrement dures. Le marché du travail marocain souffre toujours d’un chômage élevé, avec un taux national de 13,3 % fin 2024, soit plus de 1,6 million de chômeurs dans un pays de 37 millions d’habitants. La situation est encore plus préoccupante pour les jeunes : le taux de chômage des 15‑24 ans se situe autour de 36,7 % selon le Haut‑Commissariat au Plan, et près de 14 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Dans les grandes villes comme Casablanca, Rabat ou Marrakech, les jeunes diplômés peinent à trouver un emploi stable, ce qui explique la faible affluence même lors des matchs phares
Le contraste avec les coûts est saisissant. Les neuf stades utilisés ont nécessité des investissements colossaux se chiffrant en milliards de dollars et de dirhams, souvent dans la perspective de la Coupe du Monde 2030. Le Stade Prince Moulay Abdellah à Rabat a été rénové pour environ 75 millions de dollars, le Grand Stade de Marrakech pour 40 millions, le Stade Mohammed V à Casablanca pour 45 millions, et le Stade Moulay El Hassan a coûté plus de 200 millions de dirhams. Ces infrastructures ultramodernes restent vides, offrant un spectacle grandiose mais déconnecté de la réalité économique du pays
C’est dans ce contexte que les manifestations de 2025 ont dénoncé ces priorités budgétaires : des milliards dépensés dans le béton et les pelouses quand les hôpitaux manquent de matériel et les écoles de moyens. Des mouvements tels que le collectif « Gen Z 212 » ont exprimé leur frustration en scandant des slogans comme « Santé avant le football », accusant le gouvernement d’investir dans des stades tandis que les services publics s’effritent
Le gouvernement ne les a pas écoutés, le roi a envoyé son armée pour nettoyer les rues, pensant camoufler le problème. Et voilà que la réalité a fini par le rattraper : la CAN, qui devait être une vitrine pour le Maroc moderne, a révélé les fragilités qu’on s’échine à cacher. Quand le fond est pourri, on peut soigner la façade, repeindre les sièges et polir les pelouses, mais les mauvaises odeurs finissent toujours par exploser au nez de tout le monde.






