Pendant que le monde brûle, l’Elysée s’occupe d’une rumeur

La scène serait comique si elle n’était pas tragique : un président français implorant Donald Trump d’intervenir contre une influenceuse d’extrême droite. Une rumeur absurde, un procès à l’américaine, un pays qui s’enfonce dans le dérisoire. Tandis que les canons tonnent à l’Est et que le monde vacille, Paris joue son drame intime, miroir éclatant d’une époque qui confond pouvoir et notoriété.

 

Le monde coule, lentement mais sûrement, comme une arche percée que personne ne veut réparer. À Gaza, les bombes tombent sans relâche et les mots « proportion », « paix » ou « humanité » ne signifient plus rien. En Ukraine, la guerre d’usure s’enlise, les cadavres s’empilent, la Russie continue de frapper des villes exsangues pendant que l’Occident regarde l’horreur par intermittence, entre deux publicités et trois sommets diplomatiques. L’ONU, impuissante, compte les morts et distribue les communiqués. Le monde redevient ce qu’il a toujours été : un théâtre d’ombres où l’équilibre nucléaire remplace la morale. Les abris antiatomiques se vendent à prix d’or en Suisse et en Pologne, les États-majors peaufinent les plans de représailles, les stratèges rejouent la guerre froide avec les moyens du XXI siècle. Et pendant ce temps, pendant que tout cela se déroule, la France — cette vieille nation qui se rêve encore phare du monde — se regarde dans le miroir de ses petites obsessions médiatiques.

 

C’est dans ce contexte qu’éclate la dernière distraction présidentielle : Emmanuel et Brigitte Macron déposent une plainte aux États-Unis contre l’influenceuse américaine Candace Owens. Le motif : la diffusion d’une rumeur selon laquelle Brigitte Macron serait née homme et aurait volé l’identité de son frère. Une théorie transphobe et grotesque, née sur les réseaux complotistes, reprise par une influenceuse qui sait très bien que le scandale nourrit les clics et les dollars. Le couple présidentiel s’estime diffamé et engage une procédure à l’américaine — devant la cour du Delaware — pour laver son honneur. On pourrait comprendre l’indignation personnelle, la défense d’une épouse insultée, mais l’affaire prend aussitôt une tournure ubuesque : la première dame de France doit, devant un tribunal étranger, apporter des « preuves scientifiques » de son identité féminine.

 

Mais au-delà du tribunal, l’épisode recèle un rebondissement diplomatique inattendu : selon plusieurs sources, en février 2025 lors d’une visite à Washington, Emmanuel Macron aurait personnellement intercédé auprès de l’ancien président américain Donald Trump pour qu’il demande à Candace Owens de cesser ses attaques. Le motif invoqué : « Vous savez, elle est âgée, et cela l’affecte vraiment beaucoup », aurait déclaré Trump lors de l’appel. Cette démarche marque un glissement étrange : la France, habituellement prompte à revendiquer son indépendance diplomatique, entre dans une forme d’« appel à l’étranger » pour juguler un canular transphobe. La splendeur républicaine se réduit alors à un chuchotement entre deux anciens dirigeants.

 

Dans le fond, Candace Owens n’a pas « visé juste » : elle ment, fabule, manipule, comme tant d’autres marchands de haine et de buzz. Mais dans la forme, elle a tiré dans le mille : elle a mis à nu la vulnérabilité d’une élite politique obsédée par son image, prisonnière de la mise en scène permanente. Car oui, Emmanuel Macron, en se lançant dans cette bataille judiciaire internationale et diplomatique, donne l’image d’un président davantage préoccupé par son honneur que par la désintégration du monde. Le symbole est terrible. La politique française, déjà morcelée entre populisme, colère et indifférence, se voit une fois de plus dépossédée de sa gravité. L’affaire Owens agit comme un miroir déformant : la rumeur devient politique, l’influenceuse devient actrice du débat, le chef de l’État devient plaignant d’un feuilleton numérique. Et la France, spectatrice de son propre effondrement, regarde cette mascarade comme on regarde une téléréalité.

 

Ce n’est pas seulement la rumeur qui est inquiétante, c’est la place qu’elle occupe. Ce qu’elle révèle. Ce qu’elle efface. Quand une nation s’enflamme sur le sexe de la première dame alors qu’elle s’effondre sur tout le reste, il ne faut pas chercher plus loin la preuve d’un déclin. Nous vivons à l’ère du divertissement intégral : la géopolitique n’est plus qu’un flux TikTok, la guerre se regarde en stories, les chefs d’État deviennent influenceurs, les influenceurs dictent l’agenda du pouvoir. Pendant que la Russie bombarde, qu’Israël ravage, que les États-Unis s’arment, que l’Europe s’inquiète, Paris s’écharpe sur la « rumeur transphobe ». Et l’Élysée, au lieu de mépriser ce poison, l’entérine par son propre sérieux juridique.

 

Ce procès est une erreur stratégique, morale et symbolique. Il ne sauvera pas l’honneur du couple Macron — il ne fera que lui offrir un théâtre de plus. Il ne fera pas reculer les fake news — il leur donnera une caisse de résonance planétaire. Il ne lavera pas la France des moqueries — il la transformera en farce médiatique. Le pays des Lumières devient le pays du buzz, et le président, un personnage de série Netflix judiciaire. Candace Owens n’a pas gagné en vérité, mais elle a gagné en influence : la preuve que, dans notre époque malade, il vaut mieux propager un mensonge viral que défendre une idée juste.

 

Pendant ce temps, les diplomates comptent les morts, les centrales nucléaires vieillissent, les budgets de défense explosent, les inégalités se creusent, les idéaux s’éteignent. La France, qui aimait jadis donner des leçons de morale au monde, en est réduite à se défendre contre une rumeur née sur X (ex-Twitter). La grandeur s’efface dans le ridicule. Et l’Histoire, ironique, retiendra peut-être que pendant que le monde se préparait à la déflagration atomique, Paris se débattait pour prouver que Brigitte Macron est bien une femme.

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