Bruno Retailleau jure qu’il a entendu le peuple lui confier les clés de Matignon. Problème : avec 64 députés, la droite qu’il dirige n’a pas vraiment de quoi faire résonner les urnes. À force d’écouter les voix, il confond l’écho de ses discours et le verdict des électeurs.
Il fallait oser. Dans une France suspendue entre un Premier ministre démissionnaire (Sébastien Lecornu, parti le 5 octobre avec les honneurs du chaos) et un président en quête d’un Matignon de rechange, Bruno Retailleau, chef des Républicains, s’est cru investi d’une mission : remettre la droite au centre du jeu. Sur Europe 1, l’homme de Vendée a posé ses conditions — pas de Premier ministre de gauche, et surtout pas de retour à la Macronie. « Le message des Français doit être respecté », a-t-il martelé, l’air grave. Message compris, mais mal traduit : avec une soixantaine de députés, Retailleau revendique un mandat que les urnes ne lui ont jamais donné.
Le triomphe des autres
Retour rapide sur les faits. En juin-juillet 2024, la dissolution d’Emmanuel Macron a produit une Assemblée émiettée : 182 sièges pour le Nouveau Front populaire, 168 pour le camp présidentiel, 143 pour le RN… et 47 pour Les Républicains. Une performance qu’on qualifiera de « sobre ». Avec les apparentés, Retailleau grimpe à 62 sièges — l’équivalent d’un groupe d’influence, pas d’un bloc dirigeant.
Mais l’intéressé préfère y voir un signal fort : les Français auraient, dit-il, exprimé leur soif d’une droite « responsable ». En clair : la droite doit tout refuser, surtout si ça vient de la gauche. L’analyse, disons, audacieuse, confond souvent recul électoral et mandat moral.
Des miettes électorales montées en gâteau politique
Depuis janvier, LR s’accroche à ses succès locaux comme à des trophées de guerre. Michel Barnier a repris une circonscription parisienne avec 14,98 % des voix : de quoi redonner espoir à la rue de Vaugirard, pas au pays. Ailleurs, dans les Français de l’étranger, une candidate Renaissance a devancé la gauche — victoire de circonstance, transformée en preuve de « retour de la droite ».
Dans le Tarn-et-Garonne, la partielle d’octobre devait confirmer cette tendance. Retailleau y a multiplié les appels à « ne pas voter pour la gauche » face à une alliance RN-UDR. Résultat : son candidat finit troisième. À vouloir unir les droites, il a surtout réussi à diviser les voix.
64 députés et une menace de censure
Le paradoxe est là : avec 64 députés, Retailleau parle comme s’il en avait 300. Sur X, il promet de « bloquer tout gouvernement socialiste contraire aux intérêts de la France ». Une posture martiale, qui impressionne surtout les micros. Car sans alliance ni avec le centre, ni avec la gauche modérée, la menace pèse peu.
Dans les couloirs du Palais-Bourbon, on ironise : « Il menace de censure comme d’autres menacent de bouder. » Et au fond, c’est bien ce que redoute la droite traditionnelle : disparaître du jeu, entre un centre usé et une extrême droite triomphante.
Illusion d’optique
La sortie de Bruno Retailleau illustre moins une stratégie qu’un réflexe : celui d’une droite persuadée que son poids historique compense sa faiblesse arithmétique. Les Français ont voté pour la fragmentation ; Retailleau y voit un appel à l’unité — sous sa direction, évidemment.
Menacer de censure avec 64 députés, c’est un peu comme brandir un couteau en plastique dans une bataille de sabres : ça fait du bruit, mais personne ne recule. À force de confondre le souvenir du gaullisme avec le bulletin des législatives, la droite risque de ne plus faire peur qu’à elle-même.