Le 16 septembre 2025, Robert Redford est mort, dans sa maison de Sundance, Utah. À 89 ans, l’homme qui avait incarné la jeunesse rebelle et lumineuse des années 1960 laisse derrière lui un héritage à la fois artistique et politique, intime et universel. Mais Redford n’a jamais été seulement une icône : il a été un homme qui a choisi, contre les sirènes du glamour et du succès facile, de rester fidèle à lui-même.
Dans Sous surveillance, son dernier film en tant que réalisateur, il joue un avocat paisible mais hanté par un passé de militant au sein du Weather Underground, cette faction radicale de la gauche américaine de la fin des années 1960. L’histoire est simple : un homme cherche à faire émerger la vérité pour protéger sa liberté. Mais, comme souvent chez Redford, la simplicité apparente cache une complexité profonde, celle de l’individu face aux forces qui l’entravent. Car rester libre et authentique aura été, pour lui, la bataille d’une vie.
Hollywood voulait en faire un blond standard, une figure interchangeable dans ses productions. Redford a résisté. Depuis 1978, avec le festival de Sundance, il est devenu la voix et la figure du cinéma indépendant, un espace où les films interrogent, dénoncent, explorent les zones grises de l’Amérique et de l’humain. La Conspiration (2010) racontait l’histoire d’une femme injustement condamnée à mort dans le complot qui conduisit à l’assassinat de Lincoln. Lions et Agneaux (2007) abordait la guerre en Afghanistan et le rôle de l’individu face au pouvoir politique. Observer, témoigner, interroger : Redford a fait de ces mots la matière de son œuvre, un regard critique porté sur un pays qu’il aimait sans le masquer.
Tous ses films parlent de l’Amérique, insiste-t-il, mais d’une Amérique exigeante, complexe, où l’individu est constamment confronté à des forces plus grandes que lui. La politique, pour Redford, n’est jamais abstraite. Elle est le champ où se mesurent l’argent, le pouvoir et l’éthique. Les lobbies, comme celui de la NRA, démontrent à quel point l’argent peut plier les lois et la démocratie. Depuis trente ans, Redford utilise le cinéma pour rendre visibles ces enjeux, pour inviter à la réflexion, pour rappeler que même l’histoire la plus connue a ses zones d’ombre, comme dans La Conspiration.
La radicalité de jeunesse lui a valu une étiquette de « gauche », qu’il conteste avec malice. Sous surveillance explore ce cheminement : un homme de la radicalité à la maturité critique, du militantisme à un libéralisme réfléchi, d’un engagement idéologique à une compréhension pragmatique du monde. Redford nous raconte le changement, inévitable et nécessaire. Et il rappelle que seuls certains, comme le Tea Party, croient pouvoir figer l’histoire.
Ses engagements ne sont pas que politiques. L’art, la nature, la vie privée : Redford a toujours cherché à les préserver. Fils de parents modestes marqués par la Grande Dépression, il a grandi dans la discipline et la modestie, mais a rapidement ressenti le besoin de se révolter. Peinture, école d’art à Paris, rêves de Modigliani : il cherchait à vivre l’art avant tout. La vie le conduit pourtant vers le cinéma, voie improbable et décisive. Même lorsqu’il reçoit la Légion d’honneur en 2010, la trajectoire reste improbable : d’un étudiant dans des sacs de couchage à Montparnasse à l’un des maîtres du cinéma indépendant.
La célébrité, il l’accepte mais la domestique. À Sundance, il bâtit un refuge, un espace de création et de communion avec la nature. Il rejette le luxe ostentatoire, protège sa vie privée et sa santé mentale. Être célèbre, dit-il, c’est perdre un peu de soi-même au profit du regard des autres, mais il a appris à ménager l’équilibre entre exposition et liberté.
Même ses engagements écologiques sont cohérents avec cette philosophie. Défendre la planète, lutter contre les pollueurs, dénoncer la propagande : Redford se place comme témoin et acteur, convaincu que la nature impose ses lois et que l’individu doit apprendre à les respecter. All is Lost, où il affronte seul la tempête, rappelle cette humilité : la force de la nature et l’infime mesure de notre existence.
Robert Redford est mort, mais il laisse l’image d’un homme fidèle à lui-même, capable de se retirer, de résister, d’aimer et de créer. Solitaire, parfois rebelle, toujours lucide, il aura été l’homme qui choisit son chemin, défiant le temps, les modes et les compromis. À travers ses films et ses engagements, il nous rappelle que la liberté et la vérité sont des combats permanents. Et que, parfois, la grandeur d’un homme réside moins dans ses exploits que dans sa constance à rester lui-même.
À l’annonce de sa mort, le monde a retenu son souffle. Jane Fonda, sa partenaire à l’écran et complice de plusieurs combats, avoue sa peine : « Je ne peux m’arrêter de pleurer. » Meryl Streep le qualifie de « lion » du cinéma américain. Ron Howard, Stephen King, Marlee Matlin et des dizaines d’autres rendent hommage à l’acteur, au réalisateur et à l’homme qui a offert au cinéma indépendant un souffle inédit.
Robert Redford disparaît aujourd’hui, mais son héritage, ciselé entre glamour et conscience, entre Hollywood et Sundance, continue de respirer. Il aura montré, mieux que quiconque, qu’on pouvait séduire le monde tout en le questionnant, qu’on pouvait être une star et un passeur, un lion tranquille dans une meute d’imitateurs bruyants. Hollywood perd son roi élégant ; le cinéma gagne un souffle qui, lui, ne mourra jamais.