Onze ans d’enquête, des centaines d’auditions, des téraoctets de preuves, des promesses de “tolérance zéro”… pour finir dans le néant. Le ministère public chilien a définitivement classé le dossier SQM, plus grand scandale de financement illégal de l’histoire du pays. Résultat : pas une seule condamnation politique. Zéro. Rien. Pendant que les élites époussettent leurs vestons, la rue, elle, recommence à bouillir..
C’est en 2014 que la mèche a été allumée, lorsqu’une fuite interne de la Sociedad Química y Minera de Chile (SQM) – l’empire du lithium contrôlé par Julio Ponce Lerou, beau-frère du général Pinochet – révèle une mécanique bien huilée : des millions de dollars déversés sous forme de factures fictives, de “prestations” imaginaires, et de dons maquillés.
De droite comme de gauche, les mêmes mains ont trempé dans le même pot de lithium : Sebastián Piñera, deux fois président et deux fois bénéficiaire supposé via des fondations amies ; Andrés Zaldívar, ex-ministre démocrate-chrétien ; Pablo Longueira, figure de l’UDI, recyclé en consultant providentiel ; sans oublier une ribambelle d’élus de la Concertación et de la Nueva Mayoría. Tout ce beau monde jurait alors n’avoir “rien à se reprocher”. Le peuple, lui, payait sa baguette avec 19 % de TVA.
Ce 22 octobre 2025, un verdict a été rendu : le Tercer Tribunal Oral en lo Penal de Santiago a absolu tous les accusés dans l’affaire SQM. La magistrate présidant l’audience, María Teresa Barrientos, a lu la décision et a critiqué sévèrement le travail du parquet pour “investigation peu prolixe”, dilations excessives et manquement à l’obligation de juger dans un délai raisonnable. L’acquittement ne résulte donc pas d’une simple clôture administrative ou d’un classement, mais d’un jugement judiciaire. Le parquet, dirigé par Ángel Valencia, est depuis sous le feu des critiques pour “preuves insuffisantes” et “retards injustifiés”.
SQM avait déjà payé en 2017 des sommes importantes : environ 30,5 millions USD aux autorités américaines (DOJ/SEC) pour violations du Foreign Corrupt Practices Act, et quelque 15 millions USD supplémentaires au Service des Impôts chilien (SII) dans le cadre d’un accord local. Les anciens dirigeants, dont Patricio Contesse, n’ont écopé que de sanctions administratives.
La réaction politique tient du numéro de contorsionniste. Jeannette Jara, candidate communiste et favorite des sondages, parle d’une “justice myope avec les puissants” et promet une Commission Vérité et Justice. Son camp a été récemment éclaboussé par la publication, le 22 octobre, par T13, de mails internes de la fondation ProCultura datant de 2021. Ces documents évoquent des “fondos cuestionados” provenant d’entreprises privées non identifiées, mais aucun lien direct avec SQM n’est établi.
Du côté droit, José Antonio Kast brandit son éternel balai d’acier pour “nettoyer la casta”, tandis qu’Evelyn Matthei réclame “la fin des portes tournantes”. Johannes Kaiser, libertarien halluciné, veut quant à lui privatiser la justice “pour en finir avec le monopole de l’État”. Le tout à trois semaines du premier tour.
Un sondage Cadem publié ce soir indique que 75 % des Chiliens estiment que “la justice protège les puissants” et que 62 % disent que ce scandale influencera leur vote. Dans les projections électorales, Kast grappille quelques points, Jara en perd. Le Chili, autrefois vitrine démocratique de l’Amérique latine, vacille sur son socle.
Le risque ? Un nouvel estallido social. Les mots-clés #SQMImpunidad et #CastaMafiosa trônent en tête sur X, et les collectifs étudiants appellent à une grande marche le 25 octobre, anniversaire du référendum constitutionnel de 2020. “Si la justice ne juge pas les voleurs en costard, le peuple le fera dans la rue”, promet un compte anonyme devenu viral.
Pendant ce temps, SQM continue d’exporter 30 % du lithium mondial, “l’or blanc” censé alimenter la transition écologique planétaire. Un or vert pour les actionnaires, mais un désert pour les peuples. Dans le Salar de Atacama, les communautés indigènes n’ont vu ni routes, ni écoles, ni eau potable. “On exporte l’avenir vert du monde et on importe la corruption”, lâche María Reyes, porte-parole du Conseil des Peuples Atacameños.
Au fond, le scandale SQM n’a pas été étouffé : il a été institutionnalisé. Les politiciens se renvoient les factures, les juges ferment les yeux, et les multinationales financent les deux bords. On appelle ça la démocratie minière. Le Chili s’enorgueillissait d’être un modèle de stabilité ; il devient un laboratoire de cynisme. Le 16 novembre, les urnes diront si les Chiliens veulent encore voter pour leurs fossoyeurs. En attendant, Santiago retient son souffle. Et la rue, elle, n’a pas oublié où sont rangés les pavés.






