En octobre 2025, Alger a trouvé mieux qu’un couvre-feu pour ses opposants : la déchéance de nationalité. Le député Hichem Sifer, fidèle parmi les fidèles du Rassemblement national démocratique (RND), a déposé une proposition de loi qui ferait rougir d’envie les juristes de Pyongyang. Objectif proclamé : retirer la nationalité algérienne à toute personne, sur le territoire ou à l’étranger, coupable de « porter atteinte aux intérêts de l’État » ou à « l’unité nationale ». Objectif réel : museler ceux qui pensent, écrivent ou respirent autrement — même depuis un trottoir parisien ou un plateau télé à Montréal.
Après l’article 87 du Code pénal, qui transforme un post ironique en crime de terrorisme, voici donc la nationalité devenue instrument de chantage patriotique. Ce n’est pas une idée neuve : en 2021, le très rigide ministre de la Justice Belkacem Zeghmati avait déjà tenté l’expérience. Tollé général, recul tactique du président Tebboune, et promesse de ne « jamais diviser les Algériens ». Trois ans plus tard, les mêmes ressortent le même texte, repeint en jargon technocratique : il s’agirait désormais d’« adapter le Code de la nationalité de 1970 aux réalités contemporaines ». Lesquelles ?
Un post, une phrase, et vous voilà sans pays
Le projet vise tout acte jugé « hostile à l’État » : déclarations, publications, collaborations, jusqu’aux « signes de loyauté envers un autre État ». Traduction : un tweet mal tourné sur Tebboune, et adieu passeport. Les binationaux sont les cibles idéales — plus simples à punir, plus visibles à humilier. Le député Sifer assure que tout cela sera « encadré » et « conforme aux normes internationales ». De la part d’un pays où la justice est aussi indépendante qu’un préfet du ministère de l’Intérieur, la garantie prête à sourire.
Kabylie : effacer le mot pour éteindre le feu
Personne n’est dupe. Derrière le vernis légal, une cible : la Kabylie. Depuis que le MAK (Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie) est classé « organisation terroriste », les militants amazighs sont traités comme des agents ennemis. Cette loi offrirait au pouvoir un outil chirurgical : retirer la nationalité aux activistes exilés, surtout ceux qui continuent à parler depuis la France ou le Canada. Après les arrestations, les procès d’opinion et les journalistes bâillonnés, vient l’arme ultime — la disparition administrative. Ne plus contester, ne plus exister.
L’autoritarisme sous vitrine
Sur le papier, le texte s’habille de comparaisons juridiques et de citations internationales. Dans les faits, c’est une pièce de théâtre : Alger n’a jamais signé la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, mais s’en réclame comme d’une caution morale. Le but n’est pas de l’appliquer, mais de faire trembler. Une loi comme une menace, présentée en drapeau. Bienvenue dans la tyrannie administrative, sous cellophane, avec tampon officiel.
Et maintenant ? La France, toujours friande de « dialogue constructif », détournera-t-elle une fois de plus le regard ? L’Italie, déjà accrochée à ses contrats gaziers, a donné le ton. L’Allemagne et l’Espagne observent, prudemment. Quant aux écrivains binationaux — Kamel Daoud en tête —, ils savent désormais que la plume aussi peut être révoquée.
Ce texte dépasse sa forme légale : il crie sa défiance envers toute pensée libre. Une déclaration de guerre symbolique contre les penseurs et les voix qui dérangent. Même en Europe…





