Le Front Polisario : Un fantôme résilient dans le désert

Dans le Sahara occidental, l’horizon infini du désert cache un conflit figé depuis un demi-siècle, où sable et ciel se disputent une frontière aussi floue que les espoirs d’une résolution. Né de l’héritage colonial et de promesses d’autodétermination jamais tenues, ce territoire oppose le Maroc, qui revendique sa souveraineté, au Front Polisario, porteur des aspirations indépendantistes sahraouies. En octobre 2025, alors que l’ONU s’interroge sur l’avenir de sa mission MINURSO, ce conflit dit « gelé » continue de tisser sa toile complexe entre combats sporadiques, tractations diplomatiques, richesses convoitées et drames humains dans les camps de réfugiés.

 

Dans le Sahara occidental, l’horizon ne connaît pas de frontière, seulement une ligne tremblée entre le sable et le ciel, mais sur les cartes et dans les chancelleries, ce territoire est depuis cinquante ans un nœud serré de diplomatie, de mémoire coloniale et d’intérêts économiques. Le Front Polisario, qui avait surgi au début des années 1970 comme une force révolutionnaire armée de rêves d’indépendance et de kalachnikovs, n’est plus aujourd’hui qu’une organisation affaiblie, mais toujours là, obstinée comme une trace de pas dans le sable que le vent n’efface pas complètement. Octobre 2025 marque une étape symbolique : l’ONU s’apprête à renouveler, ou non, le mandat de la MINURSO, la mission censée organiser depuis 1991 un référendum d’autodétermination jamais tenu. Pour comprendre la survie de ce conflit dit gelé, il faut le suivre dans ses strates — militaires, politiques, économiques, humanitaires, juridiques — et dans les espaces où il se déploie : les camps de réfugiés, le mur de sable, les salles de conférence de New York, les ports atlantiques, les concessions énergétiques et les rues poussiéreuses de Tindouf.

 

Héritage colonial et promesse trahie

Lorsque l’Espagne s’est retirée en 1975, minée par la fin du franquisme, le Sahara occidental est passé d’une colonie à un territoire disputé, partagé d’abord entre le Maroc et la Mauritanie avant que celle-ci ne se retire en 1979. Le Polisario, porté par l’Algérie, avait proclamé en 1976 la République arabe sahraouie démocratique, devenue membre de l’Union africaine, et mené une guerre de guérilla contre le Maroc. Le royaume, lui, avait répliqué par la construction d’un immense mur de sable, long de 2 700 kilomètres, hérissé de mines et surveillé par des dizaines de milliers de soldats. En 1991, un cessez-le-feu négocié par l’ONU avait figé les lignes, en promettant un référendum sur l’indépendance. Plus de trente ans plus tard, ce référendum n’a jamais eu lieu. Les générations passent, les camps de réfugiés s’installent dans la durée, et les négociations tournent en rond. En novembre 2020, la reprise des combats à Guerguerat avait brisé la trêve et ramené la guerre dans un registre sporadique, une succession d’escarmouches et de frappes de drones qui maintiennent le conflit en vie sans jamais le transformer en guerre totale.

 

De la guérilla à l’enlisement militaire

Militairement, le Polisario ne ressemble plus guère à l’armée populaire des années 1970. Ses effectifs oscillent entre 5 000 et 8 000 combattants actifs, encadrés par une structure qui peut mobiliser jusqu’à 40 000 hommes en théorie. Les moyens sont modestes : quelques roquettes, des drones artisanaux, des embuscades dans le désert. Depuis 2020, on compte plus de deux cents incidents militaires, mais aucun changement de territoire significatif. En juin 2025, un drone sahraoui a frappé un poste de la MINURSO, blessant plusieurs Casques bleus, un rappel de la fragilité de la situation. En face, le Maroc consacre plus de cinq milliards de dollars par an à son armée, équipe ses forces de drones turcs et israéliens, déploie 150 000 hommes derrière son mur et surveille le désert avec des radars modernes. Pour le Polisario, les perspectives de victoire militaire se sont évanouies depuis longtemps. Mais l’entretien d’un front armé, même modeste, reste pour lui un signe de vitalité et un levier politique. Les jeunes Sahraouis qui grandissent dans les camps de Tindouf, souvent dans un climat d’ennui et de frustration, y voient une forme de continuité et de résistance, même si beaucoup songent aussi à partir ailleurs.

 

Une diplomatie qui s’essouffle

Sur le terrain politique et diplomatique, le Front Polisario conserve une légitimité partielle, mais il est de plus en plus marginalisé. L’ONU le reconnaît toujours comme le représentant légitime du peuple sahraoui, et l’Union africaine lui offre une place grâce à la République arabe sahraouie démocratique. En 2025, une soixantaine d’États le reconnaissent officiellement, notamment en Afrique et en Amérique latine, et le Venezuela vient encore en mai dernier réaffirmer son soutien. Mais Rabat a marqué des points : depuis la reconnaissance américaine en 2020 sous Donald Trump, une vingtaine de pays ont reconnu la souveraineté marocaine, Israël s’est rapproché en normalisant ses relations, et le Maroc a multiplié les accords bilatéraux, les projets économiques et les ouvertures de consulats dans les villes sahariennes. Le Polisario tente d’adapter son discours. En septembre 2025, il a même parlé de “négociations réalistes”, signe d’un infléchissement, même s’il n’a pas renoncé à l’objectif d’un État indépendant. Face à lui, émergent aussi des mouvements dissidents, comme le Mouvement sahraoui pour la paix, qui considère que la lutte armée est “vouée à l’échec”.

 

Les ressources : trésors convoités et pillage dénoncé

L’économie est l’autre grand champ de bataille. Le Sahara occidental recèle des richesses qui attisent les appétits : des phosphates exploités à Bou Craa, des zones de pêche parmi les plus riches du monde, des perspectives pétrolières offshore et surtout des projets liés aux énergies renouvelables et à l’hydrogène vert. Rabat a multiplié les annonces, parlant de 20 GW de capacités installées et de millions de tonnes d’hydrogène exportables à l’horizon 2030. Le port de Dakhla Atlantique, en chantier pour un coût de 665 milliards de francs CFA, doit devenir une plateforme logistique majeure pour le commerce avec l’Afrique de l’Ouest et le Sahel. Pour le Maroc, ces projets incarnent l’intégration du Sahara dans son territoire. Pour le Polisario, ils sont le signe d’un pillage des ressources et d’une violation du droit international. Les ONG comme Western Sahara Resource Watch dénoncent régulièrement les concessions accordées à des entreprises européennes ou asiatiques. L’Union européenne, malgré plusieurs arrêts de la Cour de justice de l’UE annulant les accords de pêche ou d’agriculture conclus avec Rabat sur la zone, continue de chercher des formules pour préserver ses intérêts économiques et énergétiques.

 

Camps d’exil et répression : le double visage humanitaire

Sur le plan humanitaire, la situation demeure dramatique. Dans les camps de Tindouf, en territoire algérien, vivent plus de 170 000 réfugiés selon le HCR. L’accès à l’eau reste limité, la malnutrition chronique touche près d’un tiers des enfants selon l’UNICEF, et les infrastructures éducatives et sanitaires sont précaires. Les ONG comme Human Rights Watch ou Amnesty dénoncent aussi la répression des dissidences internes dans les camps, la persistance de pratiques d’esclavage et l’absence de mécanismes judiciaires crédibles. De l’autre côté du mur, dans les zones contrôlées par Rabat, des militants sahraouis dénoncent intimidations policières et arrestations arbitraires. En février 2025, la rapporteuse spéciale de l’ONU Mary Lawlor a pointé les violences subies par des défenseurs des droits humains sahraouis, accusations rejetées par le Maroc comme de la propagande du Polisario. Entre ces deux réalités, les populations civiles continuent de vivre dans une forme de suspension, dépendantes de l’aide internationale et enfermées dans un conflit sans horizon clair.

 

Le recours au droit : victoires symboliques

Le front juridique, lui, offre parfois au Polisario des victoires symboliques, comme les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne annulant les accords de pêche ou d’agriculture avec Rabat. Mais ces victoires restent sans effet concret, car l’UE et ses États membres cherchent aussitôt à contourner les arrêts ou à renégocier de nouveaux textes. L’avis rendu en 1975 par la Cour internationale de justice, affirmant que le Sahara occidental n’appartenait ni au Maroc ni à la Mauritanie avant la colonisation espagnole, demeure une référence pour le Polisario, mais il n’a jamais été suivi d’effet pratique.

 

Un échiquier international sans arbitre

Ainsi se maintient, en 2025, l’un des derniers conflits de décolonisation du monde. Un conflit où deux visions s’opposent sans se rejoindre : celle d’un État sahraoui indépendant soutenu par l’Algérie, et celle d’un Sahara intégré au Maroc et présenté comme une région modèle de développement. Les intérêts extérieurs renforcent ce blocage : l’Algérie y voit une manière d’affaiblir Rabat et de conserver une profondeur stratégique ; le Maroc s’appuie sur ses alliances avec Israël, les États-Unis et désormais une partie de l’Europe ; la France mise sur la stabilité et sur ses relations historiques ; l’Union européenne sur les ressources ; les États-Unis et Israël sur la géopolitique régionale et le contrôle des routes atlantiques.

 

L’éternel recommencement

Au bout du compte, ce qui prévaut est une forme de statu quo mouvant, où la guerre ne s’enflamme pas mais où la paix ne s’installe pas non plus. Pour les Sahraouis, le temps s’écoule dans les camps ou derrière le mur comme une attente interminable. Pour les chancelleries, le Sahara occidental reste un dossier secondaire, qu’on gère à coups de rapports onusiens et d’accords commerciaux, en espérant que le conflit reste contenu. Octobre 2025 apporte une nouvelle échéance, mais à moins d’une volonté forte de bousculer les équilibres, c’est encore le désert qui dicte sa loi, avec ses étendues silencieuses, son horizon sans fin et ses conflits invisibles aux yeux du monde.

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