Découvreur de talents, comédien touche-à-tout, fondateur de Kandidator et de l’École de l’Humour, René-Marc Guedj s’est éteint le 30 juillet à 62 ans, après avoir documenté sa fin de vie en vidéos. Peu médiatisé mais profondément respecté, il laisse une génération d’artistes orphelins et reconnaissants.
Le 30 juillet 2025, le rideau est tombé sur la scène de la vie de René-Marc Guedj. Il avait 62 ans, trois cancers au compteur, une voix râpeuse de tendresse désabusée, et une dernière série de vidéos sur YouTube au titre évocateur : Fin de vie ? rapidement rebaptisée Faim de vie. Là où d’autres s’éteignent dans le silence ou la dignité compassée, lui choisit la mise en scène : plus de 80 vidéos, postées entre deux chimiothérapies, deux saillies bien senties et quelques rires volés à l’angoisse. « Dans trois jours, je fais ma rencontre personnelle avec la mort », annonce-t-il, lunettes au bord du nez, sourire en embuscade. Sa famille confirmera le rendez-vous : René-Marc est mort dans la nuit du 30 juillet. « Toujours avec un œil pétillant et des blagues, jusqu’au bout ».
Ceux qui le connaissaient bien n’ont pas attendu la presse pour lui rendre hommage. Christine Bernard, coordinatrice des documentaires à France Culture, a salué un homme « rare », au flair de défricheur. Nicole Guillaume, comédien, se souvient de ses interventions auprès des enfants de l’hôpital Cochin : « Tu m’as permis de les faire rire. » Fabrice Blind, acteur, le résume d’une phrase : « Un découvreur, un metteur en scène, un auteur et un comédien touche-à-tout ». Sylvie Boisel, Séverine Berthelot, la chanteuse Séverine Geay, tous disent la même chose, en filigrane : il a donné leur chance à ceux qui n’entraient pas dans les cases. Ceux qui n’étaient ni produits, ni productibles, mais simplement vivants. Il ouvrait des portes. Celles des scènes, mais aussi des possibles.
Depuis les années 80, René-Marc Guedj a creusé son sillon à coups de textes mordants, de spectacles décalés et de scènes ouvertes visionnaires. Il avait un talent rare : voir ce que personne ne voyait encore. Anne Roumanoff, Pierre Palmade, Élie Kakou, Chantal Ladesou, Christophe Alévêque, Jean-Luc Lemoine, Dany Boon… Il les a tous vus passer un jour par un micro, une audition ou un de ces plateaux bricolés où l’on se cherche avant de se trouver. Ce n’était pas un producteur, c’était un parieur. Et il gagnait souvent.
Animateur, comédien, cascadeur médiéval à ses heures (littéralement), metteur en scène, aboyeur, pédagogue, directeur artistique et fondateur de l’École de l’Humour et des Arts Scéniques (EHAS), Guedj a passé sa vie à tordre les étiquettes et à forcer les projecteurs à pivoter. Il fonda aussi Kandidator, un concours d’humour itinérant devenu tremplin. Il écrivait, jouait, enseignait. Il râlait, riait, transmettait. Il ne faisait pas carrière : il faisait circuler l’élan.
En mai 2025, alors qu’une récidive cancéreuse s’annonce terminale, il épouse Anne, sa compagne de toujours. Puis, il entame sa dernière œuvre : une chronique de sa propre fin. Non pas geignarde ni sacrificielle, mais drôle, directe, drôle encore. Dans Code Source (Le Parisien) et sur sa chaîne, il parle de mort comme il parlait de théâtre : sans tricher.
Il y a des trajectoires qui brillent loin des spotlights, des carrières faites de scènes minuscules et d’élans gigantesques. René-Marc Guedj n’a pas eu droit aux hommages en plateau, aux nécros prémâchées des grands médias, ni à la minute compassée de chagrin télévisé. Trop inclassable, trop libre, trop « pas bankable », sans doute. Il n’en reste pas moins que son œuvre — faite de coups de pouce, de coups de gueule et de coups de théâtre — a laissé des traces visibles dans les rires de toute une génération. C’est peut-être ça, au fond, le plus grand des legs : être celui dont on ne parle pas, mais dont les autres parlent avec reconnaissance. Et qu’on cite entre deux loges… comme un mot de passe.