Retailleau et l’Algérie : la Bleuite diplomatique

Il voulait la libération. Il a obtenu l’inverse. Mais peut-être était-ce le plan : provoquer le régime pour le pousser à se montrer tel qu’il est. Une stratégie vieille comme la guerre d’Algérie…

 

C’est ce qu’on appelle, dans le jargon diplomatique, un « geste contre-productif » – mais avec tambours, trompettes et la Marseillaise en fond sonore. En dénonçant bruyamment les agissements du régime algérien, en réclamant la libération du journaliste de SoFoot, Christophe Gleizes, et en s’indignant du sort réservé à l’écrivain Boualem Sansal, Bruno Retailleau n’a pas tant jeté un pavé dans la mare qu’il a largué une caisse de grenades dans une eau déjà trouble. Résultat : les deux hommes restent dans les geôles et Alger savoure l’occasion de faire la leçon à Paris. Mission accomplie ?

 

Au premier regard, on pourrait croire à une gaffe d’élu zélé, obsédé par le verbe fort et la posture de droiture. Mais à y regarder de plus près, le geste du patron de Place Bouveau ressemble moins à une erreur de jugement qu’à un coup savamment cynique : pousser Alger dans ses retranchements, forcer le régime à montrer les dents, et lui coller enfin l’étiquette infamante de « paria autoritaire » aux yeux de l’opinion française. Un piège bien tendu — et dans lequel les autorités algériennes, fidèles à leur orgueil national bien trempé, ont plongé tête la première.

 

Retailleau sait ce qu’il fait. Ou ses services, du moins, savent. Depuis quand ignore-t-on, à Paris, que le régime algérien a pour ADN l’insoumission rugueuse ? Que toute injonction venue de l’ex-puissance coloniale est reçue, par réflexe quasi génétique, comme une humiliation ? En parlant haut, en dénonçant avec emphase, le ministre a servi à Alger un casus belli diplomatique sur un plateau. Le pouvoir algérien, déjà chatouilleux, s’en est saisi avec un plaisir presque enfantin : les prisonniers restent enfermés, les passeports restent confisqués, et Paris se retrouve dans l’impasse.

 

Et Retailleau n’a pas ménagé ses effets. Il a même tout mis en place pour forcer la main à Alger. D’abord, le renvoi de clandestins algériens sans passer par la case consulats – une entorse aux usages, mais une façon assumée de tester la réaction du régime. Le message était clair : puisque l’Algérie rechignait à délivrer les laissez-passer consulaires, la France n’attendrait plus son aval.

 

Ce pied de nez a servi de détonateur. Dans la foulée, Retailleau a pu justifier une réponse « graduée » à l’obstruction algérienne. En vrac : limitation des visas pour les dignitaires, menaces de gels d’avoirs pour certains cercles du pouvoir, et dernière trouvaille – pas des moindres – refus de reconnaissance de certains passeports algériens, et interdiction faite aux diplomates d’accéder aux zones réservées aux fameuses valises diplomatiques. Le tout, enrobé dans un langage de fermeté et de souveraineté, qui plaît à droite et fait mine d’embarrasser la gauche – mais qui, surtout, pousse Alger à durcir encore le ton.

 

Et si, finalement, Bruno Retailleau n’avait pas agi à la légère, mais selon une vieille recette psychologique héritée des heures les plus troubles de la guerre d’Algérie ? La « bleuite » – du nom de cette opération conduite par le capitaine Léger, infiltrant la paranoïa au sein des maquis du FLN pour les pousser à l’autodestruction – consistait à souffler sur les braises de la méfiance pour que l’ennemi s’égare, se raidisse, se purge tout seul.

 

De cette tactique, Retailleau semble avoir retenu l’essentiel : provoquer le pouvoir algérien non pas pour qu’il cède, mais pour qu’il se ferme, pour qu’il réprime plus fort, plus vite, plus visiblement. Un sabotage moral. Une bleuite diplomatique.

 

Le plus troublant, c’est que l’ancien sénateur n’a pas tort sur le fond. Oui, l’Algérie de Tebboune et de Chengriha est une machine à broyer ses dissidents. Oui, Boualem Sansal est un géant de la littérature bâillonné par un pouvoir paranoïaque. Oui, Christophe Gleizes n’a rien à faire en prison. Mais dans le champ des relations internationales, la vérité ne suffit pas : il faut l’art de la faire entendre. Or Retailleau, par calcul ou par fougue, a préféré l’affront à la stratégie. Et l’Algérie, fidèle à sa culture de résistance, a répondu avec la brutalité que le premier flic de France attendait. Une victoire pour les principes, une défaite pour les hommes.

 

Car c’est là que le cynisme transparaît : s’il voulait vraiment la libération des détenus, Retailleau aurait peut-être opté pour la discrétion, les canaux diplomatiques, les médiations silencieuses. Mais non. Ce qu’il voulait — ce que lui voulait — c’était pousser le régime algérien à se durcir, à se dévoiler, à offrir le spectacle de sa violence. En ce sens, l’objectif est atteint. Le régime algérien, pris au piège de son orgueil, a montré sa vraie nature. Mais à quel prix ? Celui du silence prolongé de Sansal. Celui de la cellule fermée de Gleizes.

 

Retailleau n’a donc pas échoué. Il a juste choisi une autre victoire : symbolique, brutale, solitaire. Il a gagné une manche contre Alger, mais perdu du terrain pour Paris.
Et dans ce vide, d’autres s’y engouffrent avec appétit.

 

Plus cyniques, plus pragmatiques, moins emmurés dans leur roman national. L’Italie, en tête, déroule le tapis rouge à Abdelmadjid Tebboune. Récemment reçu comme un Pape par Giorgia Meloni, le président algérien a trouvé à Rome ce que Paris refuse désormais de lui offrir : une alternative, directe, au tête-à-tête franco-algérien. Là où la France joue la morale, l’Italie parle gaz, investissements et stabilité. Pendant que Retailleau déshabille le roi, le roi change de boutique. Il s’habille en Prada. Et c’est à Rome qu’il parade.

 

Dans ce bras de fer sans diplomatie, les seuls à souffrir sont ceux qu’on avait promis de sauver.

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