Autrefois, devant la mort, tout le monde descendait. C’était même le seul endroit où la République tenait ses promesses : un cercueil pour tous, une église ouverte, un curé, deux gerbes et trois sanglots. Mais ça, c’était avant Netflix, la reconnaissance faciale et les invitations filtrées.
À Paris, ce 17 juillet, Saint-Roch n’était pas un lieu de recueillement. C’était un salon VIP. À l’entrée, une barrière de sécurité. Derrière, le petit peuple, les sans-nom, les fans, les gens — ceux qui regardaient Ardisson. Et devant, ceux qui passaient chez lui : les professionnels du chagrin en costume noir. Dress code respecté : noir intégral. Ardisson style.
Ils défilent, lunettes sombres et mines adaptées. Laurent Baffie, fidèle parmi les fidèles, masque son émotion sous une casquette. Michel Drucker, en mode TGV, évite la discussion impromptue avec une passante trop humaine. Florent Pagny, silhouette éteinte, s’avance comme un refrain discret. Arthur trébuche sur une marche — effet comique non voulu, ou dernier clin d’œil à l’école Ardisson ? Les autres suivent : Léa Salamé, Patrick Timsit, Blanquer (oui, lui), Faustine Bollaert, Brigitte Macron en cuir – tout un générique de fin aux airs de best of France Télé.
Et puis, les autres. Ceux qui n’étaient pas sur la liste. Ceux qu’on a laissé dehors, au soleil, derrière la barrière. Pas de son, pas d’image. À peine une larme, floutée par la distance. Ils regardent l’église comme on regarde la télé : sans y être. Même morts, les hommes de télé savent rester inaccessibles.
À l’intérieur, tout est scripté. Les bancs sont pour les intimes du PAF. Une playlist posthume défile : Bowie bien sûr (“Lazarus”, parce que la symbolique, coco), les Beatles, Jean-Louis Aubert. Gainsbourg aussi, pour faire classe. Peut-être Bashung, pour l’âme. On glisse une VHS dans le cercueil, on cite deux phrases, on évite le pathos. Ardisson aurait détesté le naturel.
Le vrai miracle, ce jour-là, ce n’est pas la résurrection. C’est la séparation des classes, réalisée avec une telle finesse qu’on aurait dit un plan de coupe. Plus besoin de ciel ni d’enfer : tout se joue entre la rue et la nef.
Autrefois, à l’église, on enterrait les riches, les pauvres, les têtes connues et les parfaits inconnus. C’était le dernier lieu où tout le monde pouvait entrer sans badge. Là, non. Même le chagrin est conditionné. Même le recueillement est sous embargo. Enterrement entre-soi, soirée privée, quota de pleurs réservé aux titulaires d’un code APEC.
Alors on applaudit le cercueil, à la sortie, comme on salue la fin d’un prime. Peut-être parce que c’était bien produit. Peut-être parce qu’on n’a rien vu.
Thierry Ardisson est mort comme il a vécu : bien entouré, protégé du bruit, et à bonne distance du peuple.