C’est un tournant silencieux mais fondamental dans l’histoire de la République. Le 2 juillet 2025, à l’Élysée, Emmanuel Macron recevait les forces politiques calédoniennes. Dix jours plus tard, dans un manoir discret de Bougival, au petit matin du 12 juillet, un accord « historique » a été signé. Ce texte, encore confidentiel, prévoit la transformation de la Nouvelle-Calédonie en un “État” au sein de la République française. Du jamais vu.
Exit les incertitudes chroniques et les référendums à répétition : celui prévu pour acter le nouvel accord sera, en théorie, le dernier. Après trois scrutins d’autodétermination (2018, 2020, 2021) marqués par une nette victoire du non à l’indépendance mais un boycott massif du dernier par les indépendantistes, l’Élysée voulait sortir de l’ambiguïté. La solution proposée : un État calédonien intégré à la République, doté d’une nationalité propre, mentionné dans la Constitution et susceptible d’être reconnu par la communauté internationale — une sorte d’État associé, sans le nom.
L’un des points clés de l’accord est la réouverture du corps électoral. Véritable ligne rouge pour les non-indépendantistes, cette disposition devrait permettre à de nombreux Calédoniens installés depuis moins de dix ans de participer aux scrutins provinciaux, jusqu’alors réservés à une population “gelée” par les accords de Nouméa. Le verrou saute donc. En échange, les loyalistes concèdent une évolution institutionnelle sans précédent : la reconnaissance d’un État calédonien, avec sa propre nationalité.
Un geste fort… mais pour qui ?
Dans les rangs indépendantistes, le silence domine encore. Le FLNKS n’a pas encore réagi officiellement, même si plusieurs sources évoquent des réticences internes. Le texte, pour entrer en vigueur, devra de toute façon être validé localement, par référendum. Et cette “nationalité calédonienne” — symbole fort — reste encore à définir : s’agira-t-il d’un gadget identitaire ou d’un véritable passeport vers l’autonomie ?
Constitutionnaliser un État dans l’État au sein de la République française est un pari politique risqué mais audacieux. Il s’apparente à une reconnaissance implicite du fait national calédonien, sans franchir la ligne rouge de l’indépendance. Une façon pour Paris d’éteindre l’incendie après les émeutes de mai 2024 — les plus graves depuis les événements des années 1980, avec 14 morts et deux milliards d’euros de dégâts — tout en gardant la main sur l’archipel stratégique du Pacifique.
Versailles en arbitre
L’accord doit désormais passer par une révision constitutionnelle, annoncée pour le dernier trimestre 2025 à Versailles. La symbolique est forte : c’est dans ce même lieu que furent proclamées les grandes lois de la République. L’idée est d’y inscrire l’État de Nouvelle-Calédonie dans le marbre républicain, sans renier les principes d’unité de la Nation.
La Nouvelle-Calédonie pourrait ainsi devenir une sorte de laboratoire post-colonial, à la fois français et singulière, dotée d’une autonomie renforcée, d’un Parlement local souverain dans certaines matières, et d’une reconnaissance internationale possible. Une innovation juridique et politique qui pourrait, demain, inspirer d’autres territoires — ou déclencher une avalanche de revendications, de la Corse à la Polynésie.
On attendait un référendum d’autodétermination, on aura eu un compromis post-identitaire. Ni tout à fait indépendant, ni tout à fait intégré, le futur statut calédonien s’apparente à un art de la couture constitutionnelle. Emmanuel Macron y voit un “accord historique”. Reste à savoir s’il tiendra le choc de la réalité calédonienne, où le mot “histoire” est toujours écrit à l’encre vive de la mémoire coloniale.