L’Arabie saoudite et la bombe du voisin : la dissuasion en outsourcing

On croyait la dissuasion nucléaire réservée aux puissances établies. L’Arabie saoudite vient d’inaugurer une version externalisée du concept.

 

L’analyste saoudien Ali Shihabi, proche du pouvoir, a confirmé ce que beaucoup soupçonnaient depuis longtemps : le royaume, qui a largement financé le programme nucléaire pakistanais, entend désormais bénéficier d’un retour sur investissement. Pas en construisant ses propres bombes, mais en s’assurant que celles d’un autre puissent être déclenchées en son nom. Le terme « parapluie nucléaire » a rarement été aussi littéral.

 

L’accord n’est pas né d’hier. Il mijotait depuis des années dans les marmites de la géopolitique régionale. Mais sa signature intervient à un moment de tension aiguë : quelques jours seulement après une frappe israélienne contre des membres du Hamas sur le territoire du Qatar, et dans un contexte régional où les lignes de sécurité traditionnelles sont de plus en plus floues. Riyad, longtemps adossé à la protection américaine, semble désormais vouloir diversifier ses assurances, y compris en se tournant vers une puissance fragile, mais armée jusqu’aux dents : le Pakistan.

 

Islamabad, de son côté, n’a jamais fait mystère de ses liens étroits avec le royaume. Plus de deux millions de Pakistanais travaillent en Arabie saoudite, et l’économie pakistanaise a, depuis longtemps, été sous perfusion saoudienne. Si l’on ajoute à cela le soutien financier de Riyad au programme nucléaire pakistanais dans les années 1980-90 — alors en pleine clandestinité —, le lien entre les deux capitales dépasse de loin la simple camaraderie diplomatique.

 

Mais la nouveauté ici, c’est l’officialisation. Ce qui se murmurait entre diplomates devient aujourd’hui un levier stratégique assumé. Et ce levier risque de peser lourd dans l’équilibre régional, à commencer par la relation entre l’Inde et l’Arabie saoudite. Car New Delhi, qui importe massivement du pétrole saoudien et qui entretenait jusqu’à présent des relations cordiales avec Riyad, doit désormais composer avec le fait que l’arsenal de son rival historique pourrait potentiellement être activé pour défendre un « ami » de l’Inde.

 

La manœuvre saoudienne a une logique. C’est celle d’un pays qui, confronté à un monde multipolaire, aux volte-face américaines, aux tensions croissantes avec l’Iran, cherche à se prémunir à tout prix d’un isolement stratégique. Mais en franchissant la ligne de la dissuasion indirecte, Riyad prend un risque majeur : celui de banaliser la prolifération nucléaire par délégation. Car si l’arme atomique peut se louer, se prêter ou se mutualiser comme un simple outil de défense, alors c’est toute l’architecture de non-prolifération qui se fissure.

 

Ce n’est plus la possession qui fait la puissance, mais la capacité d’accès. Le nucléaire devient un service, presque une application stratégique. Le danger est là : dans cette normalisation d’un lien déconnecté entre la responsabilité et la capacité de destruction. Si demain d’autres pays suivent cette logique, la dissuasion ne sera plus une doctrine, mais un marché. Et dans ce marché, les plus instables pourront devenir les plus dangereux… à condition d’avoir les bons contacts.

 

Riyad n’a pas construit la bombe. Il a construit le droit de l’utiliser sans l’avoir. C’est, en soi, un tour de force diplomatique. C’est aussi, peut-être, le début d’un monde plus imprévisible.

 

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