Le Portugal vient d’entrer, à pas mesurés mais bien sonores, dans le club très sélect des nations européennes qui légifèrent sur ce que les femmes peuvent — ou ne peuvent pas — porter. Le 17 octobre, l’Assemblée de la République a adopté une loi interdisant le port du voile intégral dans les espaces publics. Officiellement, il s’agit de défendre la laïcité, la sécurité, voire la dignité féminine. Officieusement, c’est un joli trophée offert à l’extrême droite, qui rêvait d’en faire un symbole identitaire.
Quand Chega veut “protéger nos filles”
Le texte, sorti des cartons du parti Chega, emmené par André Ventura — tribun populiste en quête de respectabilité —, a été adopté avec l’appui inattendu du centre droit. La loi proscrit “les vêtements dissimulant le visage dans les espaces publics”, une formule assez vague pour épargner les carnavals, mais assez claire pour viser la burqa et le niqab. L’amende pourra atteindre 4 000 euros. En clair : le voile intégral est interdit, mais l’intolérance se porte à visage découvert.
Ventura, fidèle à son style d’arène, a justifié la mesure au nom de la protection des “femmes portugaises”. “Nous défendons nos filles”, a-t-il lancé, sans préciser de qui. L’argument est ancien : celui de sauver des femmes que personne n’a vues, d’une oppression que personne n’a mesurée, dans un pays où la burqa relève plus du mythe exotique que de la réalité sociale.
Une loi pour un problème inexistant
Le Portugal compte environ 65 000 musulmans sur 10 millions d’habitants. L’imam Abu Sayed, du Centre islamique du Bangladesh à Lisbonne, l’a rappelé avec un calme désarmant : “Le voile intégral n’est pas la norme parmi les musulmans ici.” Autrement dit : on interdit quelque chose qui n’existe pas. Un réflexe très européen, finalement — faire la guerre à des symboles plutôt qu’à des faits.
Mais il faut croire que dans une Europe électoralement nerveuse, la rareté d’un phénomène en fait précisément sa valeur politique. La burqa devient alors une sorte de miroir : on n’y voit pas celles qui la portent, mais ceux qui la redoutent.
Laïcité ou anxiété ?
Amnesty International dénonce une “dérive xénophobe”, et quelques collectifs féministes parlent d’un retour déguisé du patriarcat : l’État, encore une fois, décide à la place des femmes. Les partisans, eux, invoquent la sécurité et l’égalité. Le même couplet entendu ailleurs, de Paris à Copenhague. Les arguments se répètent, les visages changent, mais l’angoisse reste la même : celle d’une Europe qui se regarde dans le voile des autres pour ne pas voir ses propres fissures.
Un tournant symbolique
Si le président Marcelo Rebelo de Sousa promulgue le texte, le Portugal rejoindra la France, la Belgique, le Danemark et consorts dans la croisade du “visage découvert”. Une victoire symbolique pour Chega, qui y voit le triomphe des “valeurs portugaises”. En réalité, c’est peut-être la fin d’une singularité : celle d’un pays resté, jusqu’ici, à l’écart des crispations identitaires européennes.
Une Europe qui se ferme les yeux pour mieux les garder ouverts
Le débat, finalement, n’est pas religieux. Il est culturel, presque existentiel. L’interdiction de la burqa ne changera pas la vie des Portugais — sauf peut-être celle de quelques femmes invisibles — mais elle dira beaucoup sur l’évolution d’un continent qui préfère légiférer sur des tissus que réfléchir à ses fractures.
Entre Lisbonne et Bruxelles, on continue donc à défendre la liberté… en la réglementant. À ce rythme, l’Europe finira peut-être par se découvrir entièrement. Mais pas forcément du meilleur côté.






