Le Coronavirus assène un « uppercut » au marché mondial, avec une baisse spectaculaire des prix du pétrole. A moyen terme, peut-on craindre un contre-choc pétrolier semblable à celui de 1986 ? Quels seront ses perdants et ses gagnants ? Y aura-t-il un nouvel ordre énergétique mondial ? Le Correspondant a interrogé Nassima Ouhab-Alathamneh, universitaire, docteure en sciences politiques et enseignante en économie de l’énergie à l’université de Nanterre.
Le Correspondant : Quel marché pétrolier aura-t-on, après la crise sanitaire du coronavirus ?
Nassima Ouhab-Alathamneh : Aujourd’hui, on est dans la stagnation des échanges internationaux. De ce fait, la baisse des prix du pétrole – déjà au plus bas depuis 2014 – va certainement subir des replis, dans les prochains mois.
Ce déclin viendra s’ajouter aux difficultés traversées, ces derniers temps, par le monde des hydrocarbures, à cause de la décision de l’Arabie Saoudite, de la Russie et du Qatar, de faire grimper leur production (500 000 barils, par jour, pour la Russie et 2 millions de barils quotidiens pour l’Arabie Saoudite et 1 million pour le Qatar).
Quel sera l’impact de cette nouvelle baisse des prix du pétrole sur les pays émergeants ?
Cela pourrait bousculer l’équilibre de plusieurs pays, dont l’économie repose essentiellement sur la rente pétrolière. Prenez le cas de l’Algérie, troisième producteur d’hydrocarbures en Afrique, avec 12,8 milliards de barils. Ce pays, entièrement dépendant de son pétrole, a besoin d’un baril à 90 dollars, pour assurer sa stabilité budgétaire. Or, à cause de cette baisse des prix du pétrole, ses extractions du brut ont connu une baisse de 16 % en moyenne. Et cela a accentué le déséquilibre financier des algériens.
A terme, ce pays – comme d’autres – pourrait recourir à l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels (shale oil). Pour autant, leur économie ne va pas retrouver un nouvel élan. Car le marché du schiste n’est pas rentable : la demande est moins importante qu’avec le pétrole et ses coûts d’exploitation sont plus élevés. D’ailleurs, les producteurs de schiste américains estiment qu’un baril à 65 dollars ne compense pas les investissements nécessaires au forage des puits, car les mécanismes et les technologies déployés sont plus coûteux que les volumes à extraire.
Et l’Opep… Ce n’est pas cette organisation, qui est censée réguler les cours et les volumes de production ?
Oui, mais les membres de l’Opep ont du mal à accorder leurs violons. Des querelles politiques et économiques sont un fléau entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. L’Arabie Saoudite joue un rôle prépondérant au sein du Cartel. L’attitude dominatrice de Mohamed Ben Salman, sur l’échiquier international, pourrait inciter certains membres à quitter l’Opep, comme cela a été le cas pour le Qatar en 2018.
Auquel cas, c’est toute l’influence de l’Opep qui va se retrouver diminuée. Ce sera alors la porte ouverte aux abus, car le rôle de l’Opep demeure prééminent, pour le maintien de l’équilibre entre l’offre et la demande. A fortiori, avec la crise sanitaire engendrée par le covid-19 et le reflux de la demande chinoise.
Mais ce ne sont là que des prévisions. La dynamique chinoise pourrait changer la donne. Pékin est l’un des plus grands consommateurs d’énergie (entre 3 et 4 millions de barils par jour) et la relance de son économie pourrait faire monter les prix du pétrole, pour leur permettre de gagner quelques points.
Donc, la Chine en sauveur … Sommes-nous aux portes d’un nouvel ordre énergétique mondial ?
Nous assistons depuis quelques années à une véritable « guerre froide » sur le marché énergétique. Et la situation a encore empiré, depuis l’émergence du schiste américain, qui a propulsé les États-Unis au premier rang mondial, devant l’Arabie Saoudite. Leurs querelles incessantes avec la Russie, via le duel Arabie Saoudite-Iran, vont certainement affecter davantage les cours.
Et c’est dans cette brèche que la Chine est en train de se glisser pour reprendre le leadership. Avec l’objectif, sur le long terme, de stocker les hydrocarbures et de devenir exportateur. Et n’oublions pas que Pékin a les moyens de ses ambitions : la Chine a des réserves stratégiques suffisamment abondantes, pour alimenter les industries locales et le marché mondial. De plus, elle a développé des nouvelles énergies, qui pourraient se substituer aux énergies fossiles et reconfigurer les besoins énergétiques de plusieurs États.