Guerre Russie-Ukraine : Tout le monde triche, sauf les morts ?

Dans la guerre Russie-Ukraine, les morts s’empilent, les chiffres s’arrangent et les experts s’enchantent. Moscou nie, Kiev enjolive, l’OTAN comptabilise et les médias applaudissent. À force de manipuler les bilans, chacun finit par enterrer la vérité plus profond que les soldats.

 

C’est la guerre la plus moderne du siècle : des drones, des missiles hypersoniques… et des chiffres qui volent plus haut que les obus. Depuis 2022, la Russie et l’Ukraine s’étripent joyeusement pendant que les experts comptent les cadavres à distance, à la louche, au radar ou à l’inspiration. Et dans cette grande boucherie comptable, tout le monde ment. Mais chacun avec (son)style.

 

Poutine, chef de comptoir des morts

Au Kremlin, on aime les bilans light. En septembre 2022, Moscou reconnaissait 5 937 morts. Depuis, plus rien : la guerre continue, mais les cercueils ont disparu des chiffres. Poutine jure que ses pertes sont “incomparablement inférieures” à celles de Kiev — on suppose que c’est vrai, puisque personne n’a le droit de comparer.

 

Les médias d’État rivalisent de mauvaise foi : RIA Novosti parle de 1,8 million de morts ukrainiens, RT filme des “victoires stratégiques” dans des villages rasés, et les talk-shows patriotiques comptent les morts comme des points au Scrabble.
Mais les médias “indépendants”, exilés à Riga ou Berlin, font-ils mieux ? Pas vraiment. Mediazona et Meduza additionnent des nécrologies et des photos de tombes en ligne. Résultat : 219 000 morts “confirmés” — sauf que la Russie, c’est grand, et que les cimetières n’ont pas de Wi-Fi.

 

Zelensky, l’influenceur

À Kiev, on préfère les bilans flous, histoire de ne pas effrayer les investisseurs. Zelensky parle de 400 000 pertes ukrainiennes “au total”, mais sans préciser si c’est en vies humaines, en chars ou en cheveux blancs. En attendant, l’Ukraine publie chaque jour des vidéos de chars russes en feu — souvent recyclées ou filmées sur des jeux vidéo.

Le message est simple : “Regardez, on gagne !”
Les morts ukrainiens, eux, restent hors champ. Pas question de montrer des cercueils, surtout quand on attend les prochains milliards européens.

Les communiqués quotidiens de l’armée ukrainienne affichent un optimisme soviétique : un million de pertes russes, des dizaines de “brigades anéanties”, et des “avancées tactiques” si subtiles qu’il faut une loupe pour les voir sur la carte.

 

Les think tanks comptent les cercueils à la louche

Les Anglo-Saxons, toujours prompts à analyser ce qu’ils ne vivent pas, se sont emparés du carnage. L’ISW, le CSIS, la RAND, le Royal United Services Institute : autant d’acronymes pour dire “on ne sait rien, mais on le publie quand même”.
Leurs rapports, illustrés de courbes multicolores, affirment que la Russie a perdu “entre 480 000 et 1,2 million d’hommes” — soit la fourchette la plus large depuis les prévisions météo du mois d’avril.

Le Washington Post relaie, The Economist suranalyse, et la BBC illustre le tout avec des photos d’archives. Pendant ce temps, les mêmes experts conseillent leurs gouvernements… qui financent leurs études. Une boucle parfaite : la guerre produit des morts, les morts produisent des rapports, et les rapports produisent des subventions.

 

Les “open sources”

Sur X (anciennement Twitter, aujourd’hui QG du renseignement de salon), des armées d’“analystes open source” traquent chaque explosion comme s’ils jouaient à Call of Duty.
Sous des pseudos comme @war_mapper ou @Slantchev, ils géolocalisent les cratères, extrapolent les pertes, et concluent : “La Russie est à bout.”

Le problème, c’est que ces excellents enquêteurs bossent depuis leur canapé, avec un café tiède et des images floues. Et souvent, ils “confirment” entre eux leurs propres fantasmes. La vérité se fait “retweeter” jusqu’à devenir plausible. Dans la guerre de l’information, la précision est un luxe — la conviction, un carburant.

 

La presse libre, mais pas téméraire

Du côté des grands médias, la guerre se couvre à distance respectable : Kiev pour les courageux, Varsovie pour les prudents, et Paris pour les éditorialistes.
On y répète les bilans officiels, on cite “une source militaire occidentale” (généralement la même pour tout le monde), et on termine chaque article par une phrase sur “le courage du peuple ukrainien”.

 

Poser la question des pertes réelles ? Impensable. Trop démoralisant, pas bon pour le moral des troupes ni pour la ligne éditoriale. Quant aux rares journalistes qui s’y risquent, ils se font aussitôt accuser de “reprendre la propagande russe”.
En 2025, le mot “indépendant” veut surtout dire : “Dépendant d’un seul camp, mais avec style”.

 

Tout le monde ment, certains mieux que d’autres

Entre les morts invisibles de Moscou, les bilans optimistes de Kiev, les courbes des think tanks et les posts hystériques de X, la vérité gît quelque part sous les décombres.
Les estimations varient : 200 000 à 1,4 million de morts russes, 100 000 à 500 000 ukrainiens. Bref, une approximation à six zéros.

Et pendant que les stratèges comparent leurs statistiques, l’ONU, bonne élève, annonce 14 000 civils tués “confirmés”. On applaudirait presque la précision.

 

La guerre, c’est sale — les chiffres, encore plus

Les obus tuent des hommes, les chiffres tuent la vérité. Les morts ne votent pas, mais ils comptent quand même. À Moscou, on les efface ; à Kiev, on les sublime ; à Washington, on les finance.

Et au milieu, une armée de communicants transforme le désastre en storytelling.
Comme le disait récemment un internaute sarcastique :

“La guerre, c’est quand tout le monde ment, mais que personne ne veut savoir qui dit la vérité.”

 

À ce rythme-là, la seule donnée fiable de ce conflit restera peut-être le prix du cercueil en pin

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