La Macronie, c’est un peu comme un sketch de Raymond Devos revisité par Kafka : on ne sait plus qui gouverne, qui obéit, ni pourquoi. Dernier numéro de ce théâtre d’ombres : Élisabeth Borne, ex-Première ministre, ex-ministre de tout, se découvre un soudain talent pour « l’écoute ». Dans Le Parisien, elle plaide pour « suspendre » la réforme des retraites — celle qu’elle avait passée au 49.3, la main sur le cœur et l’autre sur la gâchette constitutionnelle. « Il faut savoir écouter et bouger », dit-elle aujourd’hui, le regard grave et la mémoire amputée. On applaudirait volontiers, si ce n’était pas pour couvrir le vacarme des casseroles de 2023.
Pendant que Sébastien Lecornu, Premier ministre aussi durable qu’un yaourt, s’efface sur la pointe des mocassins vernis, Borne refait surface, le ton feutré, la contrition en option. Elle veut « écouter » et « bouger », sans surtout changer. Comprenez : suspendre la réforme sans la désavouer, reculer sans faire marche arrière, bref, courir sur place. Même Olivier Faure, qui confond lucidité et somnolence, salue un « réveil tardif mais positif ». Pour le coup, il a raison sur la moitié du diagnostic : réveil tardif. Très tardif.
Remémoration et abréaction
Retour en 2023. Borne était alors la prêtresse du 49.3, l’épée trempée dans la Constitution et le regard fixé sur le totem des retraites. La rue grondait, les pancartes fleurissaient : « Borne démission ! », « Macron, t’es foutu ! » — slogans qui, avec le recul, auraient mérité une mise à jour du calendrier. Pendant que Paris étouffait sous les gaz lacrymo et que Rennes se dégazait à la lacrymo, la Première ministre serrait les dents et la République. « Nous irons jusqu’au bout », répétait-elle. Elle y est allée, en effet : jusqu’au bout de sa popularité et du crédit moral du gouvernement.
Le 16 mars, elle sortait son 49.3 comme d’autres leur briquet : par réflexe nerveux. L’Assemblée suffoquait, les motions de censure poussaient comme les muguets du 1er mai, et le gouvernement s’en tirait de justesse, grâce à quelques abstentions bien placées et une bonne dose de cynisme d’État. À la fin, quelques policiers jugés, des manifestants condamnés, et un pays rincé jusqu’à la moelle.
2025 : suspension de réforme ou réforme suspendue ?
Deux ans plus tard, Borne s’essaye au ton pastel. Finie les tabous et les totems, place au mea culpa murmuré. Elle prêche « l’apaisement », « la suspension » et « le dialogue » – le tout sans éclabousser la ligne macroniste, déjà en PLS. Et pour raccommoder un gouvernement en charpie, elle propose un Premier ministre « issu de la société civile », sans « ambition politique ». Autrement dit : un Monsieur Propre de la Ve République, capable de déboucher les tuyaux ou de boucher les fuites — on ne sait plus trop. L’essentiel, c’est de contenir l’inondation avant que le radeau Macronie ne finisse à la casse.
Le plus ironique, c’est que Borne, hier symbole de la verticalité autoritaire, se rêve aujourd’hui en thérapeute du consensus. On imagine presque la séance : « Respirons ensemble, écoutons-nous, et oublions que je vous ai matraqués. » À ce rythme, il ne manque plus qu’un séminaire sur « l’empathie démocratique » à l’ENA et une masterclass sur la souplesse politique donnée par Darmanin.






