Dans son rêve, Bruno Retailleau est chef d’un grand parti, l’héritier d’une tradition gaulliste debout comme un menhir. Dans ce rêve, il monte sur l’estrade, les militants retiennent leur souffle, les caméras se fixent sur son visage grave. Alors il lâche, d’une voix ferme, une formule qui claque comme un couperet : « Hors de question que la droite accepte un Premier ministre socialiste ». La salle vibre, les députés se rangent au garde-à-vous, Matignon s’inquiète, l’Élysée tremble. L’histoire reprend son cours, et Retailleau en est le maître.
Puis il se réveille. Autour de lui, le décor est moins majestueux. Les chiffres sont cruels : Les Républicains pèsent 7,2 % aux dernières européennes, après 8,5 % en 2019. Des chiffres qui ne terrifient plus personne, sinon les derniers notables qui s’obstinent à distribuer des tracts entre deux inaugurations de ronds-points. Le grand parti gaulliste est devenu une relique électorale, fragile comme une feuille de cigarette oubliée au fond d’un vieux paquet. Et dans ce reste, Retailleau n’incarne même pas la feuille entière : tout au plus une demi-feuille, friable, qu’on manipule avec précaution de peur qu’elle ne se désagrège.
Sur le divan de Freud, on pourrait décrire LR comme un cristal fissuré. Trois morceaux subsistent : Ciotti, petit éclat tranchant, brillant d’un autoritarisme de préfecture ; Wauquiez, gros morceau opaque, persuadé qu’il reflète encore la lumière ; et Retailleau, infime fragment, qui croit incarner la cohérence alors qu’il n’est qu’un copeau. Trois reflets pour un même vide.
Dimanche 7 septembre, lors de son discours de rentrée, Retailleau a repris son refrain : « hors de question » qu’un Premier ministre socialiste s’installe à Matignon. Dans son esprit, c’est une ligne rouge, une position ferme, une démonstration d’autorité. Mais dans la réalité, c’est une ligne de craie sur un trottoir, vite effacée par la pluie ou le passage d’un balai municipal. Pendant ce temps, Laurent Wauquiez, plus madré, préfère « juger sur pièces » – façon élégante de dire qu’on ne ferme pas la porte quand on n’a plus vraiment les moyens de l’ouvrir.
Retailleau cogite, pèse ses mots, s’imagine en stratège incontournable. Il rêve d’être l’homme qui bloque ou autorise, qui censure ou sauve. Il s’endort chef d’État, se réveille chef de reliquat, et repart aussitôt dans son rêve éveillé. Car au fond, il y croit encore. Comme une demi-feuille à clope qui se prend obstinément pour un cigare de La Havane.