Au moment où le Tribunal arbitral du sport s’apprête à trancher sur le cas explosif d’Imane Khelif, championne olympique au caryotype XY, la Grande Mosquée de Paris lui remet sa médaille d’honneur. Un geste en apparence fraternel, mais en réalité éminemment politique. Car derrière la ferveur religieuse se joue une partie d’influence entre Alger et Paris, où la foi se mêle à la diplomatie, et où la République, subventionneuse distraite, se retrouve sur le banc des spectateurs.
C’est un timing qui ne doit rien au hasard. Au moment même où le Tribunal arbitral du sport (TAS) s’apprête à rendre sa décision sur le recours d’Imane Khelif, la Grande Mosquée de Paris, fleuron religieux du malékisme et institution subventionnée par la France, choisit d’honorer la boxeuse algérienne.
Une médaille d’honneur remise le 29 octobre par son recteur, l’avocat Chems-eddine Hafiz, comme un geste fraternel et symbolique. Mais derrière la fraternité affichée, une manœuvre : celle d’une Algérie qui, par le truchement d’une institution française, pèse sur un dossier judiciaire international.
XY et les zones grises du sport
Car Khelif, championne olympique des -66 kg, n’est plus seulement une athlète. Elle est devenue une affaire d’État. Née en 1999 dans le Sud algérien, elle s’est hissée au sommet à force de coups de poing — avant que des tests commandés en 2023 par l’International Boxing Association (IBA) ne révèlent un caryotype XY et des marqueurs physiologiques masculins.
Depuis, l’IBA a été écartée par le CIO au profit de la World Boxing, qui impose désormais des tests de féminité. C’est contre cette obligation que Khelif a saisi le TAS, dénonçant une pratique humiliante et discriminatoire. Alors que même le CIO, sous la pression croissante des fédérations et depuis l’arrivée de sa nouvelle présidente, a infléchi sa position : ce qui, avant les Jeux, relevait de l’inclusion — “le passeport fait foi” — devient désormais embarras, au nom d’une “équité biologique objective”.
Une Mosquée sous influence
Alors que le verdict est imminent, la Mosquée de Paris sort des cordes et monte sur le ring symbolique. L’acte paraît religieux, il est politique. Car la Mosquée, héritée du protectorat et longtemps vitrine de la diplomatie franco-algérienne, n’est pas qu’un lieu de culte : elle représente des millions de fidèles, et son recteur est un interlocuteur officieux d’Alger à Paris.
Ce n’est pas la première fois que l’institution flirte avec la politique étrangère. Sous Dalil Boubakeur, son prédécesseur, la Mosquée s’était déjà faite le relais discret du régime Bouteflika : soutien appuyé à la politique d’Alger sur la mémoire coloniale, participation aux visites présidentielles, et bénédiction d’accords culturels pilotés depuis El Mouradia. Une diplomatie religieuse sans uniforme, mais très codée.
Aujourd’hui, Chems-eddine Hafiz, son successeur, a repris le flambeau avec plus de modernité… et tout autant d’ambiguïté. Avocat reconnu, il traîne pourtant quelques casseroles financières : une enquête préliminaire du Parquet national financier en 2019 pour soupçons de “blanchiment” et “abus de confiance” liés à des fonds libyens transitant par la Mosquée, classée sans suite mais toujours mentionnée dans les archives du PNF. Hafiz, proche du pouvoir algérien, se veut le visage d’un “islam de France” pacifié, tout en gardant la ligne diplomatique d’Alger.
En décorant Khelif maintenant, il envoie un signal clair au TAS et au CIO : l’Algérie soutient sa championne, et la communauté musulmane de France aussi. Une pression douce, mais bien réelle, venue d’une institution française financée par l’argent public.
Le paradoxe malékite
Le paradoxe est saisissant. Car cette distinction, présentée comme un hommage à une femme musulmane exemplaire, intervient alors que Khelif n’est plus perçue comme une femme “ordinaire”, ni par les instances sportives, ni par une partie de l’opinion algérienne.
Et c’est dans une mosquée, institution fondée sur la stricte séparation des sexes, que se déroule la scène. Chems-eddine Hafiz, représentant d’un islam malékite attaché aux textes, offre ainsi à Khelif une caution religieuse – au moment même où les autorités religieuses d’Algérie s’abstiennent soigneusement de se prononcer.
Alger applaudit, Paris s’abstient
Ce geste, qui pourrait passer pour un simple élan communautaire, prend alors une autre dimension : celle d’une ingérence diplomatique sous couvert de dévotion.
Alger applaudit, Paris s’abstient. Dans un contexte où les relations entre les deux capitales sont tendues – rappel d’ambassadeurs, dossiers migratoires gelés, tensions autour des exilés politiques –, la France préfère ne pas voir qu’une institution qu’elle subventionne partiellement s’érige en relais d’influence étrangère.






