Dimanche 26 octobre 2025, les urnes ont encore tremblé sous les cris de la “liberté” selon Javier Milei. L’Argentine, épuisée par quarante ans de dettes, d’inflation et de promesses péronistes, a choisi de redonner les clés du pays à celui qui prétend vouloir “tronçonner l’État”. Résultat : 40,7 % des voix au niveau national, un triomphe pour le parti La Libertad Avanza, qui triple sa présence à la Chambre des députés (de 37 à 101 sièges sur 257) et quadruple presque son ancrage au Sénat (de 6 à 20 sur 72). Avec une participation famélique de 67,9 %, la plus basse depuis 1983, Milei appelle ça un “immense soulagement”. En vérité, c’est un vote de lassitude plus qu’un plébiscite.
À Buenos Aires, le président à la crinière de lion s’est félicité d’avoir obtenu une “autoroute pour réformer sans frein à main”. Pendant que Donald Trump, son double idéologique, célébrait sur Truth Social une “victoire écrasante”, promettant même 20 milliards de dollars d’aide américaine, l’Argentine s’enfonçait un peu plus dans le rêve fiévreux d’un libéralisme sans garde-fous.
Le fou qui rêvait d’un marché sans État
Javier Gerardo Milei, né le 22 octobre 1970 à Buenos Aires, enfant de la classe moyenne de Villa Devoto, a grandi en détestant l’État autant qu’il vénère aujourd’hui le marché. Diplômé en économie à Belgrano et à Torcuato Di Tella, il enseigne la macroéconomie pendant vingt ans, citant à longueur de cours ses prophètes : Murray Rothbard, Friedrich Hayek, Milton Friedman. Son idée fixe : un monde sans intervention publique, où la main invisible du marché fait tout, sauf nourrir les pauvres.
Avant d’être président, Milei est une créature médiatique. Dans les années 2000, il écume les plateaux télé, éructant contre la “caste politique”, brandissant une tronçonneuse en plastique comme symbole de sa croisade anti-dépenses. On le surnomme “El Loco” — le Fou — et il s’en amuse. Il écrit des livres, anime des séminaires, gère un blog, et parle avec ses chiens clonés — quatre mastiffs baptisés d’après ses économistes préférés. Quand il fonde La Libertad Avanza en 2021, on le prend pour une blague. Deux ans plus tard, il remporte la présidence avec 55,7 % des voix face au péroniste Sergio Massa.
Célibataire, insomniaque, mystique du capitalisme, Milei vit en ascète : peu de sommeil, pas d’enfants, mais une foi ardente en la “liberté économique”. Ce qu’il appelle “liberté”, ses détracteurs le nomment “démolition”.
Une tronçonneuse dans le budget
Depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2023, Milei applique ce qu’il promettait : la « plus grande purge budgétaire de l’histoire argentine ». L’inflation, qui dépassait les 200 % en 2023, est tombée à 31,8 % en octobre 2025. Victoire statistique, certes, mais à quel prix ?
Son gouvernement a supprimé plus de 10 ministères, licencié 53 000 fonctionnaires, fusionné ou démantelé des centaines d’agences publiques. Le budget est enfin équilibré, un exploit inédit depuis 14 ans, mais obtenu au bistouri social : coupes dans les subventions, gels de salaires, privatisations en cascade. Par décrets d’urgence (DNU), Milei contourne le Parlement, qu’il traite de “nid à rats” et de “dégénérés”.
Les investissements étrangers affluent, surtout américains. Le “partenariat” avec Washington — cimenté par Trump — lui garantit des prêts, des promesses et des sourires, mais aussi une dépendance géopolitique inédite. Le président se vante d’avoir “sauvé la monnaie” ; le peuple, lui, se demande encore comment remplir son assiette.
Les gagnants comptent les profits, les perdants les repas
Derrière les courbes triomphales, la réalité mord. Depuis 2024, plus de 200 000 emplois ont disparu, le PIB s’est contracté de 1,8 %, et la reprise de 2025 s’essouffle déjà. L’Argentine vit désormais à deux vitesses : d’un côté, les élites urbaines, rassurées par la stabilité monétaire ; de l’autre, 40 % de la population sous le seuil de pauvreté.
Les manifestations se multiplient à Buenos Aires, Rosario, Córdoba. Les syndicats parlent d’un “massacre social”, tandis que Milei répond par le sarcasme et la répression verbale. “Les parasites se plaignent toujours”, lâche-t-il, fidèle à son style abrasif. Même certains libéraux, du Cato Institute notamment, s’inquiètent : des réformes aussi brutales sans amortisseurs risquent de plonger le pays dans une récession prolongée.
Mais Milei ne recule pas : il avance, tronçonneuse en main, persuadé que la douleur est la preuve que la thérapie fonctionne.
Un virage pro-Trump qui isole Buenos Aires
Sur le plan diplomatique, Milei a rompu avec la prudence argentine. Fini le non-alignement latino, place à un atlantisme assumé. Proche de Trump, il a repositionné l’Argentine dans l’orbite américaine, participant au G7 en tant qu’invité, soutenant Israël et l’Ukraine, et recevant en échange la manne financière de Washington.
Mais ce réalignement a un prix. Les relations avec la Chine et le Brésil sont gelées, le Mercosur traité de “club de gauchistes”, et la diplomatie argentine réduite à une succursale idéologique. Des analystes du CEPRI dénoncent une “diplomatie de fan club” : un président qui confond géopolitique et allégeance. Même l’aide de Trump, pourtant salvatrice, est vue par certains comme un “baiser de la mort” scellant la dépendance du pays à la Maison-Blanche.
Une victoire ou un vertige ?
En raflant les mi-mandats, Milei se libère de ses chaînes parlementaires. Il promet désormais d’aller “jusqu’au bout” : privatiser, déréguler, “moderniser” — comprendre : déraciner. L’exécutif jubile, les marchés applaudissent, et Washington observe, satisfait.
Mais le pays, lui, se divise. Ceux qui applaudissent la fin de l’inflation ferment les yeux sur la misère, et ceux qui crient leur colère sont traités d’ennemis de la liberté. L’Argentine, ce laboratoire politique où la démocratie flirte avec le chaos, avance sur la corde raide.
Pour l’instant, Javier Milei, le “roi d’un monde perdu”, savoure son triomphe. L’histoire, elle, attend de voir si sa “révolution libérale” restera dans les livres d’économie ou dans les annales des illusions nationales.






