Dans un tribunal de la banlieue de Buenos Aires, le procès autour de la mort de Diego Maradona vire au scandale d’État intime. Accusations de séquestration, conditions de vie indignes, dérives médicales et révélations sordides sur la relation entre le joueur et sa psychiatre : derrière la chute brutale du dieu du football argentin, se dessine une chronique d’un abandon orchestré, où chacun semble avoir profité de la dépouille vivante d’un homme qu’on disait pourtant intouchable.
Il n’était plus qu’un fantôme dans une villa de banlieue. Une légende empaillée, embastillée par ceux-là mêmes qui prétendaient l’aimer. Le procès autour de la mort de Diego Armando Maradona, qui se tient depuis un mois à San Isidro, au nord de Buenos Aires, vire au récit à huis clos d’un lent assassinat par négligence, intérêts croisés et déshumanisation.
Mardi 8 avril, c’est une Veronica Ojeda bouleversée qui s’est avancée à la barre. Mère d’un des enfants du Pibe de Oro, elle évoque les derniers mois de son ex-compagnon dans des termes glaçants : « Diego était séquestré. Il avait peur de tout. Quand je partais, il me disait : ‘Emmène-moi’ ». À travers ses larmes, elle dresse le portrait d’un homme prisonnier, littéralement. Verrouillé dans une maison, tenu à l’écart du monde, loin de toute autonomie, lavé de toute volonté. Un exilé dans son propre corps, captif de ceux qui se nourrissaient de sa gloire fanée.
Une convalescence vendue comme un hôpital
Dans le box, sept professionnels de santé — médecins, infirmiers, psychiatres — jugés pour « homicide avec dol éventuel », risquent jusqu’à 25 ans de prison. Parmi eux, deux noms reviennent en boucle : Leopoldo Luque, neurochirurgien médiatique devenu gourou de Maradona, et Agustina Cosachov, psychiatre à la méthode… disons peu orthodoxe.
Selon Ojeda, ce sont eux qui auraient insisté pour que Maradona effectue sa convalescence dans la résidence de Tigre, après une opération délicate d’un hématome cérébral : « Ils nous ont menti en pleine face. Ils disaient qu’il y aurait tout, comme dans un hôpital. Il n’y avait rien. »
Ce « rien » est désormais documenté : un lit souillé, une odeur pestilentielle, une hygiène délabrée. « Il sentait le pipi, le caca. Il n’était pas en état. Je lui ai dit de se doucher, de se raser », raconte Veronica Ojeda à propos de sa dernière visite, deux jours avant la mort du joueur. Le 25 novembre 2020, Maradona s’éteint, officiellement d’un œdème pulmonaire et d’une crise cardiaque. Officieusement ? Peut-être d’un abandon programmé.
Une thérapeute au bord du soupçon
Et comme si ce procès n’avait pas déjà des airs de farce noire, il s’est enrichi cette semaine d’un nouvel épisode sidérant. Une série de messages WhatsApp exhumés par les enquêteurs laissent entendre qu’Agustina Cosachov, la psychiatre de Diego, aurait eu des rapports sexuels avec son patient. Son collègue Carlos Diaz lui envoie : « Tu as baisé avec le gros, espèce de garce ». Elle répond, laconique : « Hahaha. Eh bien, une thérapie est une thérapie, chacun a sa propre technique ».
Des propos que l’intéressée dément aujourd’hui avec véhémence sur Instagram, plaidant l’humour noir et l’ironie d’une conversation privée sortie de son contexte. Peut-être. Mais dans ce tribunal où les défaillances médicales côtoient les relents de manipulation psychologique et financière, chaque mot pèse plus lourd que le précédent.
Qui tenait la laisse ?
Ce que ce procès met en lumière, au-delà de la déliquescence médicale, c’est l’existence d’un entourage opaque, opportuniste, parfois violent. Veronica Ojeda n’a pas mâché ses mots envers Maximiliano Pomargo, assistant personnel, Vanessa Morla, sœur de l’avocat Matías Morla (le gestionnaire de l’empire Maradona), ou encore Julio Coria, ancien garde du corps arrêté récemment pour faux témoignage. Autant de figures satellites, grassement nourries au mythe du 10, mais silencieuses quand il s’effondrait.
Alors que le tribunal s’enfonce chaque semaine dans la pénombre morale de cette fin de vie, une vérité crue affleure : Diego Maradona n’est pas mort, il a été laissé mourir. Et peut-être même utilisé jusqu’à l’ultime soupir.
En Argentine, où les dieux ne meurent jamais vraiment, ce procès agit comme une catharsis nationale. Mais dans les travées du tribunal de San Isidro, c’est un requiem dégradant qui s’écrit : celui d’un homme que ses proches ont transformé en prisonnier, puis en cadavre utile.
Le procès se poursuit jusqu’en juillet. Deux audiences par semaine. Comme une longue veillée funèbre