Les services marocains ont décidément la bougeotte : après la France et l’affaire Hammouchi en 2014, c’est désormais aux Pays-Bas que le renseignement chérifien se retrouve à la barre. À Rotterdam, un procès digne d’un roman d’espionnage se déroule, sauf que cette fois les barbouzes ont troqué le trench-coat pour la djellaba.
Dans le rôle du taupe de service : Abderrahim El M., sexagénaire à l’allure tranquille, ancien étudiant en philosophie reconverti en traducteur, puis analyste principal au sein de la Coordination nationale pour la lutte contre le terrorisme (NCTV). Traduction : il avait un badge en or pour accéder aux documents les plus sensibles sur la radicalisation, les enquêtes policières et les opérations secrètes. Exactement le genre de coffres-forts où les services marocains adorent faire leur marché.
Selon le quotidien néerlandais NRC Handelsblad, Abderrahim El M. aurait nourri la DGED (la Direction générale des études et de la documentation, autrement dit le contre-espionnage marocain) avec des cargaisons entières de documents classifiés. Bilan des courses : 928 fichiers secrets retrouvés chez lui, représentant un poids numérique faramineux de 46 téraoctets. Autant dire que ce n’était plus une fuite, mais un Niagara.
Mis sous surveillance deux ans durant, le « philosophe-espion » a été cueilli à l’aéroport de Schiphol en octobre 2023, alors qu’il s’apprêtait à filer au Maroc avec des données cryptées dans ses bagages. Pour l’aider dans son trafic, une policière locale aurait même mis la main à la pâte. Comme souvent dans les grandes affaires d’espionnage, le patriotisme se conjugue avec un brin de romantisme… ou de naïveté.
Emprisonné vingt mois, Abderrahim El M. comparaît aujourd’hui libre. Mais l’affaire fait grand bruit, au point que le tribunal de Rotterdam a déjà entendu Dick Schoof, actuel Premier ministre néerlandais et ancien patron de la NCTV, ainsi que son successeur. Preuve que les juges n’entendent pas classer l’affaire au rayon anecdote.
Mieux encore : la justice néerlandaise réclame la présence de Yassine Mansouri, le patron de la DGED, ainsi que de trois de ses collaborateurs. Autant convoquer James Bond au tribunal de La Haye. Les observateurs, toutefois, n’y croient pas une seconde : Mansouri et ses lieutenants ne risquent pas de se présenter en civil devant les juges bataves.
Ce n’est pas la première fois qu’un haut gradé du renseignement marocain est rattrapé par la justice européenne. En 2014, Abdelatif Hammouchi, patron de la DST et de la police marocaine, avait déjà failli se faire embarquer par la police française à Paris. À ce rythme, il va falloir songer à installer un guichet unique pour les convocations judiciaires de Rabat.