« Vous êtes libres de vous exprimer, mais pas d’insultes, pas de diffamation. » Vendredi soir, Abdelmadjid Tebboune, président de la République, s’est livré à l’exercice devenu rituel : une interview télévisée avec des journalistes triés sur le volet. Et au détour d’une phrase, il a résumé l’état des libertés publiques en Algérie : la parole est libre, à condition de ne rien dire qui puisse froisser le pouvoir. Autrement dit, toute liberté est insulte et diffamation.
En apparence, rien de choquant. Qui voudrait d’une liberté qui insulte ? Mais en Algérie, le code pénal fait de la nuance une arme de dissuasion massive. L’article 87 bis, révisé en 2021 et encore durci en 2022, assimile à l’« acte terroriste » toute entreprise qui vise à « porter atteinte à la sécurité de l’État, à l’unité nationale ou à la stabilité des institutions ».
Une formule si vaste qu’elle permet de mettre dans le même sac un attentat à la bombe et un appel à manifester. Résultat : le journaliste Ihsane El Kadi, fondateur de Radio M et Maghreb Émergent, a été condamné en 2023 sur la base de cet article, officiellement pour « financement étranger », en réalité pour avoir donné la parole aux voix critiques. D’autres militants, comme ceux du Hirak ou des associations de défense des droits, ont été poursuivis pour « apologie du terrorisme » après avoir partagé des posts Facebook.
Le chef de l’État préfère la métaphore guerrière : « Il faut s’entraider contre le traître de l’intérieur », a-t-il martelé, désignant la critique venue du pays comme plus dangereuse que celle de l’étranger. La rhétorique du « traître », recyclée depuis les années Boumediene, n’a rien perdu de son efficacité : elle permet d’enfermer tout débat démocratique dans une logique de complot, où la divergence devient sabotage. Les magistrats, souvent dociles, appliquent la consigne à la lettre : une opinion mal placée devient une menace pour la sécurité nationale.
Pendant ce temps, le président aligne les bilans : enseignement gratuit pour un tiers de la population, allocations pour les chômeurs, résultats « positifs à tous les niveaux ». Mais il faut se méfier des bilans trop triomphants : en Algérie, ce sont souvent ceux qui les contestent qui finissent au tribunal.
Bref, la liberté d’expression est garantie. Sauf si vous l’exercez.