Lundi 7 juillet 2025, Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a délaissé les salons feutrés du Quai d’Orsay pour venir respirer l’air breton… et s’asseoir face à trois lecteurs d’Ouest-France. Une rencontre aussi rare qu’instructive, qui a permis de sonder, le temps d’une heure, les ressorts et contradictions d’une diplomatie française en proie à ses habituelles postures et incertitudes dans un contexte international plus que tendu.
Barrot affiche une posture claire : faire vivre la diplomatie « au plus près des Français », quitte à s’immerger sur le terrain, au contact direct des acteurs locaux — élus, entrepreneurs, étudiants. Un discours de proximité bienvenu, mais qui masque à peine le fossé entre les déclarations et la capacité réelle du ministère à peser dans un jeu mondial où la France semble souvent reléguée au second plan. À Rennes, cœur battant des filières exposées aux marchés internationaux, il est venu écouter, répondre, mais surtout affirmer la ligne officielle. Sans jamais renier la rudesse de la tâche, même si l’on aurait aimé un peu plus de réalisme sur les marges de manœuvre.
Ukraine : guerre sans fin, sanctions à répétition
Premier front brûlant, la guerre en Ukraine. Jean-Noël Barrot insiste sur la « résistance héroïque » d’un pays en sang, miné par une offensive russe qui, selon lui, s’essouffle. Un optimisme contestable quand le conflit s’enlise dans un guêpier meurtrier et que le Kremlin continue ses offensives. Pourtant, pas question pour la France de relâcher la pression. Le ministre annonce un 18e paquet de sanctions, « le plus lourd » jamais imposé, destiné à « faire plier Poutine ». Mais après tant de rounds de sanctions, dont l’efficacité est de plus en plus discutée, on peut légitimement se demander si Paris ne s’enferme pas dans un cycle stérile, plus symbolique que réellement stratégique. Sur la revitalisation de l’armée ukrainienne, Barrot botte en touche : ni annonces précises, ni promesses mirobolantes, mais un soutien de deux milliards d’euros pour 2025, sous forme d’équipement et formation. La diplomatie de l’ambiguïté ou de la discrétion, selon qu’on la regarde. « La France est dans la danse, mais les détails restent secrets », semble-t-il dire — un secret qui interroge sur la sincérité et l’impact réel de cette « danse ».
Gaza : humanitaire, politique et stratégie internationale
La situation à Gaza, où les violences font rage, n’est pas oubliée. Le ministre appelle à un « cessez-le-feu immédiat », à la libération des otages, et au désarmement du Hamas. Une rhétorique équilibrée, qui traduit moins une volonté ferme que les difficultés d’une diplomatie française souvent tiraillée entre pression américaine, soutiens régionaux et opinion publique interne. Ce discours, à la prudence toute diplomatique, reflète surtout l’incapacité chronique de Paris à porter une voix claire et indépendante sur ce dossier brûlant. La France prépare une conférence internationale visant à faire reconnaître un État palestinien démilitarisé, dans le cadre d’un processus impliquant plusieurs pays arabes et occidentaux. Une noble ambition, mais qui bute depuis des décennies sur un réalisme diplomatique souvent absent.
Cybermenaces : la France sur le pied de guerre numérique
Moins visible, mais tout aussi crucial, le volet cyber. Barrot révèle que la France est en première ligne des attaques russes, qu’elles ciblent les élections, sabotent des infrastructures ou propagent des campagnes de désinformation. Le Quai d’Orsay se dote donc « d’une force de frappe » en matière d’information et de cyberdéfense, un chantier prioritaire… qui arrive un peu tardivement au regard de l’ampleur des menaces. La réaction française reste encore largement embryonnaire face à un environnement numérique où d’autres acteurs, américains ou chinois, ont pris une longueur d’avance. Face aux attaques de plus en plus fréquentes et virulentes contre l’image de la France, notamment sur les réseaux sociaux, le ministre annonce la mise en place d’outils inédits pour détecter et riposter efficacement. Une réponse nécessaire, mais qui devra se confronter à la complexité d’un espace informationnel fragmenté et difficilement contrôlable.
Un engagement renouvelé pour le droit international
Sur la scène internationale, Jean-Noël Barrot affirme la pérennité des principes fondateurs de l’ONU, même si celle-ci apparaît aujourd’hui affaiblie face aux conflits. La France, avec l’Europe, doit incarner « l’antidote » face à cet affaiblissement, en réformant les institutions garantes du droit international et en défendant la justice par la négociation pacifique. De beaux mots, qui sonnent cependant un peu creux alors que les blocages géopolitiques et les intérêts nationaux continuent d’étouffer tout espoir d’une réforme effective.
Relations et cas sensibles
Le ministre évoque aussi la situation de Boualem Sansal, condamné en Algérie, qu’il appelle à libérer pour raisons humanitaires. Il exprime également son soutien au journaliste Christophe Gleizes, emprisonné pour avoir exercé son métier, confirmant la mobilisation française et l’appui à Reporters Sans Frontières. De bonnes intentions, mais l’on attend toujours que la France parvienne à transformer ces déclarations en leviers efficaces.
Sur les relations avec l’Algérie, le ministre insiste sur l’intérêt d’une coopération dans plusieurs domaines (migration, terrorisme, économie), tout en dénonçant la rupture du dialogue provoquée par l’expulsion des agents français. Concernant les accords bilatéraux de 1968, Barrot laisse la porte ouverte à une révision dans l’intérêt national, rappelant une volonté conjointe des présidents Macron et Tebboune.
Commerce international et politique intérieure
Dans le cadre des négociations européennes sur les droits de douane américains, il affirme défendre fermement les intérêts commerciaux français, refusant tout accord déséquilibré. Une posture classique, qui s’inscrit dans un contexte où la France peine souvent à imposer sa voix au sein d’une Union européenne divisée. Enfin, il reconnaît que la forte polarisation politique intérieure affaiblit la France sur la scène internationale.
Pour conclure, Jean-Noël Barrot rappelle que la paix en Europe, fragilisée par de nouvelles tensions, ne doit rien au hasard : elle est le fruit du courage et de la vision de générations passées. Il appelle à s’en inspirer afin d’éviter que le XXIe siècle ne bascule dans de nouveaux conflits.






