COUP DE GUEULE. Un régime qui pense devoir arrêter ses écrivains, quel qu’ils soient et quel que soit ce qu’ils pensent, est assurément un régime faible et sans culture d’Etat.
Lorsque Jean Paul Sartre, en pleine guerre d’Algérie, se met complètement hors légalité, en appelant les militaires et les appelés à l’insoumission, et que le commandement militaire réclame son emprisonnement, De Gaulle, qui n’appréciait pourtant pas Jean Paul Sartre, s’y oppose et dira : « On n’emprisonne pas Voltaire ! ».
En convoquant Voltaire, ce n’est pas pour y comparer Jean Paul Sartre dont il avait une piètre idée, mais il convoque l’image générique de l’écrivain en position d’opposition à son pouvoir et en fait un élément identitaire de la culture d’Etat.
Voilà pourquoi, au-delà de l’inquiétude pour l’écrivain lui-même, je trouve l’arrestation de Boualem Sansal inquiétante. Elle est inquiétante pour l’Algérie, par ce qu’elle dit de la lourdeur de la chappe de plomb abattue sur lui.
Mais elle inquiète et interpelle sur les ressorts mentaux qui poussent nos gouvernants dans une folie répressive contreproductive, qui ne cesse pourtant de s’emballer. Elle interroge même sur leur capacité de discernement, tant est grand l’effet catastrophique sur leur image de cette arrestation inutile. Comme s’il fallait ajouter encore à l’isolement de l’Algérie et à son image de pays répulsif et fermé
L’arrestation de Boualem Sansal et les attaques du régime contre Kamel Daoud qui en a pourtant été un interlocuteur et un protégé, ne sont pas des faits à réfléchir isolément et à lier uniquement à la personnalité et aux idées de ces deux écrivains. Elles s’inscrivent dans une volonté globale d’imposer autoritairement un régime et un unanimisme politique et culturel qui le légitime.
Des centaines d’Algériens au patriotisme irréprochable ont été mis en prison. La légitimité de certains est telle qu’ils pourraient retourner au régime l’accusation de déficit en patriotisme. Aussi, quand elles viennent de ce régime, les accusations d’« antipatriotisme » sont les malvenues, y compris contre un Boualem Sansal dont je ne partage pas certaines des idées plutôt assimilables à celles de l’extrême droite, que je combats.
Boualem Sansal est un écrivain et un intellectuel dont la fonction est de produire des idées. C’est à la société d’en débattre. S’il faille vraiment les rejeter, cela ne peut se faire que par leur déconstruction, donc par le débat.
Méfions-nous de nous réjouir de voir l’autoritarisme faire taire certaines voix. C’est toujours un signe d’une volonté d’imposer une aphasie à toute la société.