Édouard Friedler, le fil tendu du Beausset

Dans le Var, les maires sont comme les oliviers : solides, enracinés, parfois tordus par le vent, mais toujours debout. Au Beausset, c’est un vieil olivier à l’œil clair qu’on a couronné cette année. Édouard Friedler, 79 ans, maire sans étiquette d’un village d’un peu plus de 10 000 habitants, vient d’être désigné « meilleur maire du Var 2025 » par le Trombinoscope, ce club discret de la République locale où la reconnaissance se mesure à la discrétion.

 

La cérémonie s’est tenue le 13 octobre, dans l’hémicycles de l’Hôtel de région à Marseille. Pas de ruban tricolore amidonné ni de main levée trop haut. Friedler, costume sobre, dos droit, a simplement dit : « C’est une reconnaissance collective ». On aurait presque cru qu’il s’excusait de la recevoir.

 

Ancien professeur de mathématiques, puis proviseur de lycée, il a traîné sa mallette d’un continent à l’autre — Afrique, Inde, Polynésie française — avant de revenir au pays, il y a quarante ans, pour se rapprocher de Nice, son territoire natal. « Parmi les lycées publics et privés que j’ai dirigés sur quatre continents, c’est sans doute la création du lycée pénitentiaire de la région PACA-Corse, en 1991, qui m’a le plus marqué », confie-t-il parfois, sans emphase. Une phrase qui résume bien le personnage : un homme de service public, pas de spectacle.

 

Il a d’abord connu l’opposition, élu dès 2014 face à Ferdinand Bernard, l’ancien maire de Sanary et président de l’agglomération Sud Sainte-Baume, depuis condamné pour détournement de fonds publics. Là encore, Friedler s’est singularisé : sans étiquette, mais avec des convictions qui tiennent plus du pragmatisme que de la ligne de parti. En 2020, il remporte la mairie du Beausset avec 55 % des voix, dans un contexte post-Covid tendu. Et dès les premiers jours de la pandémie, il monte, avec trois tables et quelques bénévoles, le premier centre de vaccination du Var. Sans grande annonce, sans caméra, juste parce qu’il fallait le faire.

 

Le Beausset, niché entre les collines de la Sainte-Baume et les premiers vents de mer, a grossi sans se perdre. Friedler en veilleur, attentif à ce que la modernité ne dévore pas le provençal. Il a sauvé l’Espace Mistral, ancien hospice que l’ancienne municipalité voulait vendre à un promoteur. Il en a fait un chantier de mémoire, promis pour 2026, où la vie associative retrouvera un toit. « Sauver ce qui fait l’âme du village sans sacrifier l’avenir », dit-il souvent, sans hausser la voix.

 

Le Trombinoscope, pour une fois, a bien vu : derrière les murs couleur d’ocre, un élu qui gouverne sans slogan ni posture, avec cette endurance lente qui fait les bons marins. À 79 ans, Friedler promet d’annoncer bientôt s’il repartira pour un nouveau mandat. Les uns le pressent, les autres soupirent. Lui, il sourit : « Les mandats, comme les saisons, ont une fin naturelle. »

 

En attendant, le Beausset savoure. Dans les cafés de la place Jean-Jaurès, on s’amuse de voir son maire dans les journaux. Les anciens hochent la tête : « Il a bien travaillé ». Dans un département où les ambitions débordent souvent les ronds-points, Friedler rappelle qu’on peut encore faire de la politique sans tapage, avec un peu de mesure et beaucoup de temps.

 

On l’a encore vu, ce 17 octobre à Draguignan, au Congrès des maires. Quand il a pris la parole, il n’y a pas eu de respiration dans la salle. C’est un de ces silences compacts où les mots comptent double. Friedler n’a pas besoin de tonner pour se faire entendre. On sait — sans qu’il le rappelle — qu’il vient d’une famille qui a traversé le nazisme. Cela donne à sa voix quelque chose de doux et de ferme, comme un fil tendu. Il parle de laïcité, sujet piégé entre mille convictions, et commence par un préambule qui n’en est pas un : « D’origine immigrée et juive. » Puis, très simplement : « Je tiens à la laïcité, mais je tiens autant à la fraternité. »

 

Sur l’estrade, certains, sans le dire, en font une arme de tri. Lui en parle comme d’un pansement.

 

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