Dans les années 40, deux véritables prêtresses vont s’imposer dans le grand club autistique : Mélanie Klein, une psychanalyste mondialement connue, et Anna Freud, psychanalyste et fille de Sigmund Freud, le « Père absolu » de la psychanalyse. En pleine guerre mondiale, elles vont s’affronter sur tous les fronts et finiront par marquer tout le développement ultérieur de la psychanalyse des enfants psychotiques et autistes. Mais, à partir de 1960, le monde bascule dans une lecture hors-sol de la question de l’autisme, menée par un mouvement insolite, qui a décide de culpabiliser les mères, en reliant directement l’autisme à un dysfonctionnement familial global ou à une pathologie maternelle masquée.
En tête de gondole, un personnage étonnant va mettre son grain de discorde dans la chapelle. C’est Bruno Bettelheim, juif autrichien et ancien rescapé des camps de Dachau et de Buchenwald. Il publie, à la fin des années 60, un livre sur la « psychologie du déporté » et choque le monde entier, avec une comparaison malheureuse entre le chaos des camps de concentration et les désirs de mort – inconscients – de certaines mères des enfants autistes.
Et comme s’il fallait encore ajouter une charge à l’électrochoc, Maud Mannoni, psychologue belge et ancienne élève de Françoise Dolto, lui emboite le pas et se lâche dans « L’enfant arriéré et sa mère », un livre sur la mère d’un enfant autiste, comparée à une Médée meurtrière – cette sorcière, dans la mythologie grecque, qui utilise sa force héritée du Soleil, pour trucider ses mouflets.
Ses recommandations ? Pour préserver un espace pour l’enfant, pur de toute contamination maternelle, il faut tenir les familles à l’écart des institutions. Autrement dit, éloigner les enfants de leur peste de mamans, ces Belphegor de l’handicap mental, parties pour polluer la race humaine…
C’est à cause de ces aberrations que les parents d’enfants autistes, culpabilisés et ostracisés, se sont mis à rebeller contre les praticiens. Ils ont commencé par s’organiser en associations et à se retourner contre le monde psychiatrique et psychanalytique. Et, d’années en années, devenue forte et majoritaire, leur opinion va finir par s’imposer comme une vérité scientifique, qui va alors jusqu’à orienter les recherches.
Revers de la médaille : aujourd’hui, les approches psycho-pathologiques – difficiles à évaluer – sont abandonnées, au profit de la pharmacologie. Pire, certaines découvertes cliniques, en marge des passages cloutés de la médecine, font l’objet d’un interdit. Le temps des traitements est rétréci, les psychiatres sont réduits au statut de pourvoyeurs de diagnostic. Les soins au long court sont troqués contre la rééducation et l’aide sociale. Et le tout est encadré par une avalanche de protocoles, qui éjectent les psychanalystes du traitement de l’autisme.
Entre autres : la méthode ABA (Applied behavior analysis), initiée par Ivar Lovaas, docteur en psychologie, dans les années 60 ou encore le programme « Teacch », fort de son armada de ressources, qui fait feu de tout bois : diagnostic, évaluation, traitement, éducation spécialisée, aide aux familles, accompagnement à l’accueil en milieu scolaire et social, ainsi qu’un lieu de vie et de travail pour les adultes. Il est un « Plan Marshal » à lui seul, mais il est considéré par les psychologues comme une « coquille environnementale surajoutée à la coquille de l’autisme ».
Autre « coquille » : le DSM (Diagnostic And Statistical Manual of Mental Disorders), tire une houle bien baveuse de la bouche des psychologues. Vu par la communauté de ces thérapeutes non-médecin, cet outil de diagnostic, censé définir les syndromes autistiques, serait détourné de sa mission : il serait une fleur offerte à l’industrie de la Santé et aux laboratoires pharmaceutiques, pour réduire les coups de soins et, en prime, « écarter les non-médecins du traitement des autistes », au détriment de tous les courants de pensées, qui ont ferraillé sous le front de l’autisme, dès le débat inaugural entre Pinel et Itard, sur « l’enfant sauvage » …
Conséquences : deux siècles plus tard, on n’est toujours pas sorti de l’arène. Et qu’on se boxe sur les plateaux télé ou dans les labos, qu’on traite l’autisme avec de la chimie ou sur un divan, les patients sont au point mort : certains évoluent favorablement, d’autres restent des « enfants sauvages », certains sont bien traités, d’autres maltraités. Les spécialistes naviguent à vue et les familles, même regroupées en lobbying, sont confrontées à cet ultime constat : tout cela n’est qu’un grand bordel…