Enlevée le 7 octobre 2023 au festival Nova, Romi Gonen a passé 471 jours aux mains du Hamas, dans la bande de Gaza. Près d’un an et demi hors du monde, coincée dans une guerre racontée d’ordinaire par des cartes, des chiffres et des communiqués. Dans un témoignage rare accordé à l’émission Uvda, l’ancienne otage israélienne parle à voix basse. Elle ne plaide pas. Elle n’accuse pas. Elle raconte. Et ce qu’elle raconte fissure le décor.
Romi Gonen ne commence pas par la violence. Elle commence par le temps. L’attente. La suspension. Cette sensation étrange où le corps comprend avant l’esprit que quelque chose est irrémédiablement cassé. Le 7 octobre, elle danse. La musique s’arrête net. Les tirs remplacent les basses. Elle est touchée par balles, capturée, emmenée vers Gaza. Les premières heures se déroulent dans un hôpital. Sa main est gravement blessée. Elle pense perdre son bras. Autour d’elle, des hommes. Trop nombreux. Trop proches.
Elle parle des mains. Beaucoup de mains. Des vêtements arrachés, des bijoux retirés un à un, comme on démonte quelqu’un. Nue, allongée, incapable de bouger. Pour survivre, elle se dédouble. Son esprit monte au plafond. Il regarde la scène d’en haut. Le corps, en bas, encaisse. Déjà presque étranger.
Elle ne perdra pas son bras. Pas ce jour-là.
Quelques jours plus tard, elle est déplacée dans un appartement de Gaza. Un homme s’y présente comme infirmier. Elle est toujours blessée. Il entre avec elle sous la douche. Il dit vouloir aider. Elle n’a aucun pouvoir. Plus tard, elle résumera, sans pathos : « Il m’a tout pris. ». La phrase suffit…
Il y a aussi la vidéo. Une mise en scène imposée, destinée à sa famille. Le caméraman s’appelle Mohammed. La vidéo ne sera jamais diffusée. Lui, en revanche, reste. Il masse. Sa main descend. Romi se lève d’un coup. Elle crie. Cette fois, il recule. Un instant seulement.
Le lendemain, le décor change. Des règles sont fixées. Des menottes apparaissent. Une arme est glissée sous l’oreiller. La promiscuité devient une méthode. La domination, une organisation. La peur, une loi.
Son corps se dérègle. Ses règles s’arrêtent. Elle s’inquiète. Eux aussi. Ils évoquent une grossesse. Elle improvise un mari, comme on jette un dernier mensonge pour gagner du temps. On lui apporte un test. Il est négatif. Soulagement immédiat. Presque trop rapide pour être sain.
Ils vivent à trois dans cet appartement. Seize jours qui ne se referment jamais. Les nuits s’étirent. Les questions reviennent en boucle. La peur ne disparaît pas ; elle s’installe, elle prend racine. Elle parle de l’arrêt de son corps, de l’angoisse sourde, de la crainte de ce qui aurait pu se produire sans qu’elle en ait conscience.
Le jour de son départ reste gravé. Une agression sexuelle grave. Puis les menaces. Se taire. Ne rien dire. Elle explique ce que la peur fait au corps : elle fige, elle rétrécit le monde, elle empêche la pensée. Il ne reste plus qu’un couloir étroit, juste assez large pour continuer à respirer.
Sa captivité durera 471 jours. Elle dit avoir subi des agressions sexuelles de plusieurs hommes, à des degrés différents. Elle ne hausse jamais le ton. Elle n’utilise pas de grands mots. Comme si trop dire risquait encore de lui échapper, ou de lui être repris.
Diffusé dans Uvda, son témoignage a bouleversé Israël. Le président Isaac Herzog a salué publiquement son courage, rappelant la nécessité de dire ce que les otages ont vécu, pour que cela ne se dissolve pas dans le bruit de la guerre.
Romi Gonen ne se dit pas héroïne. Elle ne tire aucune morale. Elle raconte. Elle laisse derrière elle un récit sans emphase, presque nu. Un récit qui rappelle que la guerre n’abîme pas seulement des territoires, mais des corps, des rythmes biologiques, des silences. Et que parler, parfois, permet de reprendre ce qui a été volé — morceau par morceau.






