3 décembre 2025, Tizi Ouzou.
Au-dessus du palais de justice flotte un mélange étrange de crachin, de tension et d’arrière-goût diplomatique. C’est ici que se joue l’appel de Christophe Gleizes, journaliste français condamné à sept ans ferme pour « apologie du terrorisme » et « possession de publications à visée hostile ». Des formules solennelles pour masquer un grief moins avouable : Gleizes a enquêté là où Alger préfère l’obscurité. Dans ce théâtre où raison d’État et liberté de la presse se toisent, le reporter s’est retrouvé au centre d’un duel qu’il n’avait jamais cherché.
Un journaliste discret propulsé au front
Agenais de naissance, nourri de football et de reportages-sacs-à-dos, Gleizes ne ressemblait ni à un infiltré ni à un héros malheureux. Reporter sportif pour So Foot et Society, habitué aux terrains cabossés et aux hôtels où les cafards disputent la chambre, il appartenait à cette génération de freelances dont la ténacité pallie la précarité.
Pas de plateaux, pas de micros : Gleizes évoluait dans les marges du journalisme français, là où l’Afrique se raconte loin des projecteurs. « Je reviens toujours vivant, et avec du matos », lançait-il, bravade légère qui a fini par prendre un goût amer.
Kabylie, mai 2025 : un reportage qui déraille
Sa mission algérienne semblait simple : la JS Kabylie, club mythique et miroir d’une région trop remuante pour le pouvoir central. Gleizes travaillait notamment sur l’affaire Albert Ebossé, joueur camerounais mort en 2014 dans des circonstances que nul communiqué officiel n’est parvenu à éclaircir.
En Kabylie, le football n’est jamais un loisir. C’est une langue politique, un rappel d’identité, une respiration contestataire. Et c’est précisément ce que les services algériens ne pouvaient laisser filer. En fouillant le passé du journaliste, ils retrouvent des échanges anciens avec Ferhat Mehenni, figure tonitruante du MAK, puis d’autres conversations avec Aksel Bellabbaci, condamné en Algérie à une perpétuité kafkaïenne et protégé par Paris faute de garanties judiciaires crédibles. Pour la défense : des sources. Pour Alger : un prétexte.
Arrêté en mai 2024, assigné en silence, Gleizes disparaît du radar pendant un an. Une discrétion soigneusement synchronisée avec des relations franco-algériennes où les non-dits servent souvent de diplomatie.
La JSK ou l’art de rendre un dossier inflammable
Pour saisir l’enjeu, il faut comprendre ce qu’incarne la JSK.
Fondée en 1946, auréolée de titres et d’une mémoire plus large que son stade, elle représente bien plus qu’un club : l’ossature culturelle d’une Kabylie rétive à l’effacement. On y chante en tamazight, on y siffle Alger avec application, on y brandit Lounès Matoub comme d’autres invoquent un drapeau. Le chanteur assassiné en 1998 en avait fait un symbole de résistance ; la JSK est restée ce phare tenace.
Même affaiblie, secouée par les affaires et les restructurations successives, la JSK garde ce pouvoir d’ébullition. Tout ce qui touche au club devient explosif. Le reportage de Gleizes, nécessaire pour comprendre la région, suffisait pour inquiéter un État obsédé par les foyers de dissidence.
Diplomatie grise et justice sourde
Dans une Algérie où la presse indépendante se tient comme un acrobate sur une corde usée, l’affaire Gleizes rappelle la vitesse à laquelle un journaliste peut devenir suspect. Parler football devient un crime politique ; enquêter se transforme en menace. L’appel du 3 décembre a confirmé cette mécanique : le parquet a réclamé dix ans, comme on frappe du poing pour faire taire ce qu’on ne veut pas entendre.
Le procureur s’est fendu d’une tirade solennelle :
« Vous n’êtes pas venu pour informer, mais pour commettre un acte hostile. »
En réponse, Gleizes n’a offert qu’une phrase honnête, devenue aussitôt pièce à conviction :
« J’aurais dû venir avec un visa de journaliste, pas de touriste. »
L’audience n’a révélé ni complot ni vérité, seulement une atmosphère : opaque, pesante, saturée de non-dits. Une justice qui ne cherche pas à convaincre mais à énoncer. Alger s’offusque-t-il réellement des échanges avec le MAK ? De l’obstination du reporter autour de la JSK ? Ou de cette audace impardonnable : regarder la Kabylie autrement que par la lorgnette officielle ?
Le verdict silencieux
Le football devait être un terrain léger. À Tizi Ouzou, il vaut désormais sept ans de prison.
Et dans cette partie jouée sans arbitre neutre, la règle ne change jamais : les cartons rouges visent ceux qui posent les questions — jamais ceux qui refusent d’y répondre.






