À Draguignan, Christophe Terras joue son va-tout : imposer le vert à une gauche éclatée et tenter de la recomposer dans une ville droitisée. Que ça passe… ou que ça se fracasse.
À Draguignan, la droite n’est pas une majorité : c’est un meuble. Un élément du décor politique que plus personne ne voit, tant il est là depuis toujours. Installée, naturalisée, routinière.
C’est dans ce paysage figé que Christophe Terras, 57 ans, professeur d’histoire-géographie, se lance dans la bataille municipale avec une idée aussi simple que risquée : remettre l’écologie au centre du jeu et contraindre la gauche locale à se réorganiser autour d’elle. Sa liste Uni.e.s pour Draguignan rassemble tout ce que la gauche compte encore de forces organisées – socialistes, communistes, écologistes, Insoumis, militants associatifs. L’union est réelle, mais la hiérarchie ne trompe personne : le vert dirige, les autres suivent.
Le programme est à l’image de la méthode : dense, cohérent, sans fioritures sociales. Rénovation thermique des écoles et bâtiments publics, végétalisation de l’espace urbain, transformation des cours d’école, alimentation bio et locale dans les cantines, compostage et broyage des déchets à domicile, mise en procès des grands projets jugés opaques ou surdimensionnés – en ligne de mire, le futur Pôle de transition environnementale de l’agglomération. Terras ne promet pas le bonheur, il promet des indicateurs. Une écologie municipale comptable, locale, presque scolaire.
Le social reste à la marge. Présent uniquement dans les notes de bas de page : soutien aux associations, accès aux services publics, prévention des violences faites aux femmes – un thème porté notamment par les militantes autour de Sarah Breffy, candidate malheureuse aux dernières législatives. Rien d’absent, certes. Mais rien de structurant non plus.
Ici, le social accompagne ; il ne commande pas.
Sur le terrain, la démocratie participative est soigneusement encadrée. Réunions publiques, enquêtes citoyennes, présence sur les marchés et les stands de campagne – notamment place Cassin. On écoute, on consulte, puis on décide. Terras assume une ligne exigeante, parfois rigide, souvent qualifiée de « bobo » par ses adversaires, et pas seulement à droite. Lui ne s’en défend qu’à moitié : la cohérence avant le compromis, l’écologie avant la synthèse.
Face à lui, la majorité municipale dirigée par Richard Strambio, Divers droite, fait figure de repoussoir idéal. Terras attaque frontalement : urbanisme mal maîtrisé, projets conçus sans véritable concertation, écologie d’affichage sans transformation structurelle. À Draguignan, il se pose en anti-gestionnaire, en pédagogue politique, celui qui prétend expliquer à la ville ce qu’elle fait mal – et comment elle pourrait faire mieux.
Mais l’histoire municipale n’est jamais une démonstration théorique. Elle est faite d’arbitrages, de renoncements et de conflits très concrets. Et c’est là que la mécanique se grippe. À Draguignan comme ailleurs, les coalitions de gauche n’explosent pas sur Gaza ou les retraites, mais sur les budgets, l’urbanisme, les aides aux associations, la gestion des déchets ou les priorités d’investissement. Les lignes sont déjà visibles : les écologistes veulent des transformations rapides et visibles ; les socialistes, communistes et Insoumis rappellent que la justice sociale, l’emploi local et l’accès aux services publics ne poussent pas sur les arbres.
Le risque est donc évident. En plaçant l’écologie tout en haut de la pyramide des priorités, Christophe Terras rejoue une partition qu’il connaît par cœur. Vingt-cinq ans plus tôt, à Épinay-sur-Seine, alors adjoint à l’environnement, il s’était heurté à ce qu’il appelait déjà les « renoncements » du Parti socialiste : trop gestionnaire, trop prudent, pas assez vert. Il claque la porte, lance une liste dissidente — Idées — soutenue par Les Verts, les Alternatifs et le label Motivé-e-s. Le score est honorable (environs 10%), mais le résultat politique est désastreux : la gauche se divise et offre la ville à la droite. Le précédent est là. CQFD.
À Draguignan, le contexte complique encore l’équation. La gauche locale est déjà affaiblie par la dissidence de Christian Martin, ancien maire socialiste (1995-2001), qui a créé le collectif Voix de Gauche pour soutenir ouvertement le maire sortant, Richard Strambio. Une stratégie assumée : infléchir la majorité de l’intérieur, quitte à diluer les marqueurs de gauche dans un exécutif solidement ancré à droite. Là où Terras revendique un projet clair, identifié, écologiquement pur.
Résultat : la perspective d’une triangulaire devient sérieuse. Terras avec une gauche repeinte en vert, Strambio avec son socle centre-droit (et désormais teinté de gauche) bien huilé, et un Rassemblement national solidement implanté — 45,33 % aux européennes de 2024, 52,14 % aux législatives — prêt à ramasser les morceaux.
À force de vouloir recolorer la gauche sans se soucier de la toile, on finit parfois par offrir la mairie à ceux qui n’avaient même pas besoin de pinceau. En attendant, Christophe Terras maintient son pari : réussir là où il a déjà échoué. Ou refaire, vingt-cinq ans plus tard, la même erreur – en plus grand format.






