À Draguignan, l’hommage à Aznavour vire à la foire électorale : entre un maire boudeur et un député braconnier, même les morts servent de décor aux ambitions politiques
Il y a des soirées qui s’annoncent douces comme un velours de piano, et qui, en un battement de mesure, se transforment en comédie politique. Celle de vendredi 29 novembre, au Théâtre de la Dracénie, devait être simple : un hommage à Charles Aznavour, décédé il y a sept ans, organisé par l’Amicale des Arméniens de Draguignan. Une soirée culturelle, point. Dans les coulisses, on prépare les micros, dans la salle on chuchote déjà l’arrivée des mezzés du buffet — indispensable dans le Var, où un événement sans buffet, c’est presque un crime culturel.
Les artistes montent sur scène, les premières notes résonnent, la nostalgie se déploie. Les classiques d’Aznavour se succèdent comme des pièces d’un puzzle affectif : le vibrato, la douceur, les chansons oubliées que seuls les insomniaques de vinyles connaissent encore. Un détour par Piaf, un autre par l’Arménie profonde, une flûte qui semble traverser des montagnes millénaires, un pianiste impeccable. Une soirée bien réglée, presque trop, comme un film où l’on pressent que le twist s’approche.
Le final prévu, « La Critique », devait clore la soirée avec humour et panache. Mais le plan bien huilé commença à grincer. Gérard Beroud, président de l’Amicale, monte sur scène, feuilles en main, prêt à dérouler ses remerciements. Dans la salle, au premier rang, Philippe Schreck, député du Rassemblement national, flanqué de sa petite troupe de la France lepiniste. Sa présence, trop visible, jette une ombre sur l’événement, et les chaises semblent presque frissonner sous le poids de l’incongruité.
Les remerciements avancent, et soudain, Beroud évoque le 13 novembre. Un 13 novembre glissé dans un 29 novembre. Dans la salle, les rangées se figent. Pas tant à cause de la date que du contexte : les attentats du 13 novembre sont un drame qu’il faut évoquer et condamner à chaque occasion. Mais personne n’y voit de lien, si ce n’est un député qui chérit ces sujets comme un terrain de chasse. Schreck, adepte des discours identitaires. La salle oscille entre amusement, gêne et incrédulité, spectatrice d’un numéro où le malaise a désormais pris toute la place.
Le post du lendemain
Dès le lendemain, la gêne devient publique : Schreck publie sur Facebook une photo de sa belle soirée, posé devant le théâtre, l’air de celui qui vient de sauver l’honneur culturel de la nation. Une image statufiée, qui sent la récupération à plein nez et la photo de campagne anticipée. Au moment où la ville s’apprête à vivre une nouvelle corrida électorale entre le maire sortant, Richard Strambio, et le RN en embuscade.
À partir de là, des questions simples se posent : Beroud a-t-il offert malgré lui une tribune au RN ? Le RN a-t-il senti le parfum d’une soirée culturelle propice à la récupération électorale ? Et Strambio, le maire de Draguignan, pourquoi n’était-il pas là, laissant son théâtre sans maître ?
Contacté par Le Correspondant, Gérard Beroud clarifie. Il a invité le député et le maire de la même manière, sans stratégie politique. Il insiste : il ignorait que le député viendrait avec son équipe. Il n’a jamais conçu la soirée comme une tribune politique. « Je suis contre tous les fanatismes. Parler de fanatisme ne fait pas de moi un homme du Front national. Je ne suis affilié à aucun parti. »
Pour montrer que l’esprit de la soirée restait inclusif, il cite la diversité des participants : un présentateur d’origine tunisienne, la chanteuse Inès Gaddache, elle aussi tunisienne, et dans la salle « des Arabes, des musulmans, des juifs, des chrétiens ». On a même chanté « L’Aziza » de Balavoine. « C’est ça, l’esprit de l’Amicale », conclut Beroud.
Bien loin de Schreck
Alors oui, il y a eu un malaise. Oui, un mélange des registres aussi subtil qu’un violon arménien joué à côté d’une tronçonneuse municipale. Mais la vraie leçon se cache ailleurs : loin de Schreck, qui semble collectionner les collaborateurs néofascistes comme d’autres empilent des timbres rares — l’un d’eux, croqué par Libération, avait même été invité d’honneur à un événement lié à Léon Degrelle, ancien SS belge. Et très loin de Richard Strambio, dont l’équipe, immaculée comme un spot de lessive, atteint le prodige de n’offrir à la diversité que l’ombre d’un sourire.
La soirée, la vraie, fut celle d’une communauté qui n’a besoin ni de selfie ni de braconnage électoral pour vivre et transmettre son héritage. Les politiques, au final, n’étaient que des silhouettes perdues dans un décor qui ne leur appartenait pas, venus confondre recueillement et racolage.
Autrement, là-haut, Aznavour aurait hurlé jusqu’à faire sauter les clous de son cercueil : “Je me voyais déjà… mais sûrement pas au milieu de ce guêpier-là.” »






