Sous son soleil brumeux, le cimetière de Bangui est très triste, bien dans le ton de cette horreur qui ne manque jamais à l’appel. Les tombes semblent perdues, plus qu’ailleurs, mais ce qui rend ce cimetière affreusement triste, ce sont ces visages sombres, qui reviennent d’un long voyage en « enfer ». Les voilà entre les tombes. En pleurs, en chants et en larmes. Certains ont perdu un proche, d’autres un ami. Miliciens ou simples victimes. Car mourir ou tuer est l’incroyable destin des centrafricains. Dépecer en tranche, une nécessité pour rester en vie. En vie, une obligation pour se venger.
Ce matin, au cimetière, tout est chaos. Comme ce vieillard, si minuscule et émacié, qu’il semble porter tous les malheurs du monde. Devant un amas de terre sèche, il parle, pleure, chante : « comme c’est dur depuis que tu es parti… ». En fait, il parle à la tombe. L’épitaphe explique toute sa douleur : « Ahmed, 25 ans. Victime de l’intolérance ».
Ahmed était son fils. Il a été retrouvé dans la rue dans Bangui, éventré et démembre. Ceux qui ont vu les corps détournent encore les yeux : « Ce n’était plus un humain, mais juste un simple morceau de viande », raconte le père. « Ceux qui l’ont tué ne sont pas des humains, mais des bêtes… », ajoute-il, convaincu qu’il a été tué par ses voisins… chrétiens. Ces mêmes chrétiens qu’il brûle maintenant de décimer, comme après la découverte du corps décomposé : à chaud, il avait déterré les machettes, pour « tous les massacrer ». C’est à dire « les pères, les mères et même les enfants … ».
C’est cette malédiction qui s’est abattue sur la Centrafrique. En 2013, ce pays de malheur a été ravagé par un conflit confessionnel, entre les musulmans et les chrétiens. Il a opposé les voisins, les collègues de classes, les copains de bars, qui se sont lancés les uns contre les autres, au nom du Dieu et d’Allah. Avec le temps, ils se sont engouffrés dans le piège de la vengeance et de la contre-vengeance. Plus tard, la mort de « l’autre » est devenue la « solution finale » au chaos. Bilan : 6000 morts. Et deux milices armées : les Seleka et les anti- Balaka, officiellement désarmées, mais toujours actives.
Aujourd’hui, » la situation est pire qu’avant », nous apprend notre correspondant à Bangui : « Des bandits de tout bord jaillissent de toutes les savanes de la société africaine pour se saigner ».

Tous les camionneurs qui s’y hasardent sont contraints de « raquer » un droit de passage. De fait, des transporteurs renoncent, peu de marchandises arrivent dans les grandes villes, la nourriture manque, tout comme les médicaments et l’essence. Il suffit de se rendre au marché du quartier musulman de KM5 pour s’en rendre compte. Alors qu’il était le navire amiral de l’économie du pays, avant la guerre de 2013, il n’est plus ruine et désolation.
Même spectacle avenue Barthelemy-Boganda, où les échoppes ne sont plus que des » squelettes qui tient à peine debout », lance d’emblée un commerçant, somnolant derrière le comptoir. Il avait passé 20 ans de sa vie à écumer les routes du commerce. Sa boutique est connue de tous les habitants de Bangui. « Il y avait des produits français, des chocolats suisses, des vêtements turcs, enfin, tout ce qu’on ne trouve pas dans le pays ». Aujourd’hui, cette « caverne d’Ali Baba » tourne au ralenti, comme l’ensemble de ses voisines. Et les commerçant sont régulièrement rackettés par « les voyous qui décident de qui va vivre et de qui va mourir ».
C’est à cause d’eux que les populations ont enfilé le « treillis » pour créer des « comités d’autodéfense » et se protéger. Problème: ces vénérables comités finissent souvent par tourner leur veste et se grimer en « coupeurs de têtes », à l’instar des peuls. Cette communauté des éleveurs, pour protéger leur bétail des convoitises, a créé une première milice, les archers peuls, puis une deuxième, puis une troisième qui fait régner la terreur dans les régions qu’elle contrôle : ses méfaits ont « provoqué le déplacement de plus de 17 000 personnes ».
C’est dans ce climat chaotique que Faustin Archange Touadéra vient d’être réélu, alors que son gouvernement ne parvient toujours pas à rétablir la paix. On dit qu' »il ne contrôle même plus rien dans le pays ». Voire … pas même ses propres troupes, parmi beaucoup de ministres et de députés, « impliquées dans des accointances avec les rebelles ». Comme Lambert Moukove-Lissanel ( le ministre des Eaux et Forêts ) ou Gontran Djono Ahaba, ancien ministre d’Etat aux Mines et au Pétrole, le neveu de l’ancien Président, Michel Djotodia, à l’origine de la création des Seleka (en 2012), cette milice qui continue à faire couler des torrents de sang dans le pays, alors qu’elle est censée avoir été dissoutes par les forces françaises.
En effet, la France est intervenue militairement dans le pays, en 2012, pour démanteler les milices et « enrayer la spirale des exactions ». Mais son » plan de paix » n’a fait qu’ouvrir une nouvelle aube de guerre : après l’arrivée des troupes à Bangui, les miliciens de la Seleka se sont repliés dans le nord pays et se sont divisés en fractions. Plus tard, chaque fraction a enfanté d’autres groupes armés, les mêmes groupes ont fait des petits et se sont convertis dans le banditisme.

Voilà comment les troupes françaises en sont arrivées à se retirer du pays en 2014, laissant leur place aux Russes, qui font une razzia sur le pays. Selon un rapport du Centre d’Etudes Subsaharienne, ils sont allés jusqu’à « payer les seigneurs de guerre pour qu’ils acceptent de se rendre aux réunions qu’ils ont organisées à Khartoum », afin décrocher un accord entre les bandits et le gouvernement.

Enquête de notre correspondant à Bangui
Michel Sango
								
															
				
															








