Pris en étau entre ambitions séparatistes et rivalités régionales, le Yémen replonge dans la tourmente. En s’emparant de provinces stratégiques du Sud-Est, le Conseil de transition du Sud défie ouvertement l’Arabie saoudite, exposant les fractures de la coalition anti-houthie et ravivant le spectre d’une nouvelle guerre interne aux lourdes conséquences régionales.
Fin décembre 2025, le Yémen, déjà disloqué par plus de dix ans de guerre, s’enfonce dans une nouvelle spirale de tensions. Le Conseil de transition du Sud (CTS, STC en anglais), formation séparatiste portée à bout de bras par les Émirats arabes unis, a renforcé son emprise sur les provinces orientales d’Hadramout et de Mahra après une offensive fulgurante au début du mois. L’Arabie saoudite, pilier du camp gouvernemental reconnu internationalement, a réagi par des frappes aériennes attribuées à son aviation et par des menaces à peine voilées de riposte militaire, tout en appelant hypocritement à un retrait « pacifique ». L’épisode met à nu l’implosion de la coalition anti-houthie et les rivalités larvées entre monarchies du Golfe.
Une cause sudiste nourrie par les rancœurs du passé
Le CTS revendique la résurrection du Yémen du Sud, État indépendant entre 1967 et 1990. Après le départ des Britanniques, le Sud devient la République démocratique populaire du Yémen, régime marxiste sous tutelle soviétique. L’unification avec le Nord en 1990, vendue comme un partenariat équilibré par le président Ali Abdallah Saleh, se transforme rapidement en annexion déguisée. Les élites sudistes, écartées des centres de pouvoir et des ressources, tentent une sécession en 1994, écrasée sans ménagement par l’armée nordiste. Depuis, le ressentiment s’est enkysté, nourri par le sentiment d’une unité imposée par la force et profondément inégale.
Créé en 2017, le CTS est l’expression politique et militaire de cette revanche différée. Intégré en 2022 au Conseil présidentiel de direction (PLC), censé incarner l’unité du camp gouvernemental, il n’a jamais abandonné son agenda séparatiste. Armé, financé et conseillé par Abou Dhabi, il contrôle déjà Aden, ex-capitale du Sud, ainsi que l’essentiel du littoral méridional.
Décembre 2025 : la conquête comme méthode
Début décembre, les forces du CTS déclenchent une opération éclair dans l’Est. Hadramout, immense province pétrolifère, et Mahra, aux confins d’Oman, tombent presque sans combat. Le mouvement justifie son avancée par la lutte contre des forces loyalistes accusées de collusion avec les Frères musulmans et les réseaux de contrebande profitant aux Houthis et aux groupes jihadistes. Prétexte commode : l’opération permet surtout au CTS d’étendre son contrôle à la quasi-totalité de l’ancien Yémen du Sud, incluant des champs pétroliers stratégiques et des points de passage frontaliers clés.
Pour Riyad, la manœuvre est inacceptable. Hadramout longe l’Arabie saoudite sur plus de 600 kilomètres ; Mahra touche Oman. Le royaume y a tissé des alliances tribales et voit dans cette avancée une menace directe pour sa sécurité. Fin décembre, des frappes aériennes saoudiennes frappent des positions du CTS dans le wadi Hadramout, tandis que plus de 15 000 combattants pro-gouvernementaux sont déployés à proximité. Le message est clair : toute remise en cause de l’ordre voulu par Riyad sera traitée par la force.
Un jeu dangereux à l’échelle nationale et régionale
Sur le plan intérieur, cette escalade fragilise un équilibre déjà artificiel. Depuis 2014, le Yémen est coupé en deux : les Houthis, soutenus par l’Iran, dominent le Nord-Ouest et Sanaa ; le gouvernement reconnu survit grâce à une coalition disparate. Une trêve conclue en 2022 avec les Houthis a permis à Riyad d’envisager une sortie honorable du conflit. L’offensive du CTS menace de tout faire voler en éclats, affaiblissant le camp anti-houthi et compliquant les négociations saoudo-houthies.
Régionalement, la crise révèle la fracture entre Riyad et Abou Dhabi. Alliées en 2015, les deux capitales poursuivent désormais des stratégies opposées : l’Arabie saoudite s’accroche à l’unité yéménite pour préserver son influence et contenir l’Iran ; les Émirats parient sur un Sud autonome, verrouillant ports et routes maritimes stratégiques (Aden, Socotra). Hadramout et Mahra, riches en hydrocarbures, offriraient au CTS les bases économiques d’un État séparé.
Au-delà, le Yémen reste un nœud stratégique mondial. Le détroit de Bab el-Mandeb, par lequel transitent 10 à 12 % du commerce mondial et une part cruciale du pétrole, est à portée de toute faction armée. Les Houthis l’ont déjà instrumentalisé en 2023-2024 ; une guerre sudiste ouverte ne ferait qu’aggraver les perturbations.
Un avenir verrouillé par la confrontation
Le CTS affirme vouloir dialoguer avec Riyad pour garantir la « sécurité du Sud », mais exclut tout retrait. Washington appelle à la retenue, soucieux d’éviter une rupture entre alliés du Golfe. Oman tente de jouer les médiateurs. Mais dans un pays ravagé par l’une des pires crises humanitaires au monde, une nouvelle guerre interne risquerait de parachever l’éclatement d’un État déjà fantôme.
L’unité yéménite, mantra de Riyad, sonne désormais creux. À l’inverse, le projet indépendantiste sudiste n’a jamais paru aussi tangible — au risque d’une collision frontale avec le puissant voisin saoudien.






