« Jamais le sport africain n’a connu une telle insalubrité… », s’emporte un homme qui a longtemps trottiné dans les hautes sphères sportives en Afrique, en évoquant les élections de la présidence de l’ACNOA, la branche africaine du Comité Olympique International. En effet ! Ces élections, qui se dérouleront le 15 mars prochain à Alger, ont de quoi faire saliver les pires monarques africains : l’Algérien Mustapha Berraf, candidat à sa propre succession, s’est arrangé à être seul dans la course…
Enquête de Charlotte L’haridon et d’Alex Oller de Inside Games
Dans ces conditions, on s’en doute, Berraf va l’emporter avec un score soviétique, conforté par une absence totale de concurrents. Ce triomphe lui permettra de renouveler son mandat pour 4 ans. Le 20 mars, lors des élections de la présidence du CIO, l’Algérien sera également reconduit, par simple cooptation, à son poste de membre permanent au sein de l’institution olympique. C’est ce que veut son ami, Thomas Bach, sans doute pour garder les siens aux commandes, avant de laisser sa place à son successeur.
Au plus fort d’une crise aigüe qui malmène l’organisation, Berraf sera donc maintenu aux affaires, alors que le patriarche moustachu a joué un rôle de premier plan dans la dégradation de l’image du CIO. Comme le Correspondant s’en est fait l’écho en novembre dernier ( nous reviendrons sur cette affaire dans notre prochaine édition), c’est lui qui a « boosté » le dossier d’Imane Khelif, cette boxeuse algérienne qui a tapé l’incruste dans les J.O de Paris, parmi les femmes, alors qu’elle est porteuse du caryotype masculin.
Et ce n’est pas son premier (mé)fait d’armes.
Le tribunal Judiciaire de Versailles vient de condamner Mustapha Berraf à payer la somme de 5000 euros, pour avoir diffamé la société Pixcom, spécialisée dans l’événementiel, affirme son patron, Alain Barbier, sur Youtube, qui accuse l’ACNOA « d’escroquerie » : « Lors des Jeux Olympique de Londres, en 2012, raconte-il, ils devaient nous verser plus de 2 millions pour payer nos fournisseurs. Or, nous n’avons reçu que 500 000 euro et cette sommes a été facturée plusieurs fois, dans différentes monnaies : Euro, dollars et fancs CFA. C’est pour cela que nous les avons attaqués pour escroquerie ».
Mais, bien avant cette acrobaties financières, il y a bien eu d’autres affaires, pour le moins douteuses. C’est ce qu’ont révélé nos confrères de Inside Games, dans leur numéro de février. En s’appuyant sur le rapport de l’Inspection générale des finances et du Ministère de la Jeunesse et des Sports algérien, qui ont disséqué les fonds de la Solidarité Olympique (une branche du CIO chargée de soutenir les athlètes et les fédérations nationales), lors des Jeux Africains de la Jeunesse de 2018.
Leur conclusion est sans appel : Berraf n’était pas un simple » administrateur » financier, chargé de gérer le budget en bon père de famille. Sur les deux millions d’euros qu’il avait reçus de l’ACNOA et du CIO, près de 1,460 millions aurait disparu dans la nature. Alors que les fonds étaient alloués aux 54 Comités Olympiques Africains – a raison de 10.000 dollars chacun, et 460.000 dollars pour l’organisation de l’assemblée générale de l’ACNOA, qui se déroulait au même moment, à Alger – et à l’organisation de l’Assemblée Générale de l’ACNOA.
Inside Games a également réussi à mettre la main sur une multitude de documents compromettants. Dont la facturation de certaines opérations, des dépenses injustifiées (nourriture pour animaux, chaussures pour femmes, voyages personnels), des utilisations de fonds publics aux frontières de la légalité… Durant des décennies, le patriarche aurait géré de nombreux avoirs comme une propriété personnelle, sans susciter un seul raclement de la gorge de la part des autorités algériennes.
Le seul procureur de la République qui a ouvert son dossier, pour » détournement de biens publics », a fini par renoncer et lever « ‘l’interdiction de sortie du territoire algérien », dont il l’avait flanqué en 2020, comme l’atteste un document confidentiel non vérifié que avons consulté. Car Berraf est un homme puissant, qui ne manque pas d’amis et d’argent, et les millions amassés durant sa carrière sportive lui ont permis d’asseoir un réseau influent dans le pays.
Ses méthodes sont celles de la plupart des dirigeants en moustache : « acheter la fidélité de ses amis, se débarrasser de ses ennemis, et maintenir coute que coute, grâce à ses millions, sa place au sein de la camarilla sportive ».
R. Fezouine, ancien Président de la Fédération de Cyclisme, devenu lanceur d’alerte sur Youtube, en sait quelque chose. En 2015, il s’est retrouvé au centre d’un interminable calvaire, qui l’a obligé à se mettre au vert. Son crime : « Avoir refusé d’honorer une facture, réclamée par Berraf, au profit de son organisation, alors que la même facture avait déjà été honorée par le CIO, dans le cadre de la solidarité olympique ». En clair, Berraf voulait lui imposer « une double facturation, une pratique qui lui permet de maintenir le flux des euros et d’asseoir son empire ».
Ironie, Berraf n’a pas été poursuivi en justice, mais Fezouine a été projeté dans un procès bâillon, accusé de corruption – dont il était en réalité innocent – et obligé de boxer contre une justice aux ordres et la haine obscène de ceux qui la manipulent.
Sept années plus tard, Fezouine a réussi à se « faire blanchir », mais il a été désavoué par la bande au pouvoir, notamment « l’ancien ministre des Sports, Mohamed Tahmi, et l’ex Premier Ministre, Abd Elmalek Sellal et le directeur général de la police nationale ». A eux trois, ils ont pesé de tout leur poids « pour écraser le non-lieu prononcé par la justice et rouvrir un dossier classé, en bricolant de nouvelles accusations ».
Suivirent plus tard des saisies sans mandats, des perquisitions abusives, de nouveaux interrogatoires chez le juge. Jusqu’à ce jour où Fezouine est prévenu par un ami : « Ton prochain passage devant le juge sera le dernier : tu finiras en prison », car un magistrat avait reçu des ordres : qu’importe comment il doit bricoler sa loi, mais il doit l’expédier dans l’ombre – le plus longtemps possible. Mais Fezouine n’est pas dupe : bien avant son jugement, il s’est arrangé à disparaitre des radars.
Aujourd’hui dans la nature, Fezouine dénonce une cabale officielle : « Je ne me battais pas seulement contre Berraf, mais aussi contre ses potes : le ministre de la Justice, le directeur général de la police et le Premier ministre, tous en prison actuellement ».
En effet ! Le premier ministre recevait ses ordres directement de Berraf. C’est ce que confirme un courrier confidentiel qui sort des tiroirs bien fermés d’un ministère algérien : récupéré par Fezouine, grâce à la loyauté de certains fonctionnaires mécontents (il en existe encore dans ce pays), il illustre les méthodes coercitives utilisées par Berraf, pour imposer son autorité et se débarrasser de ses ennemis.
« Ce document fait partie du secret des Dieux », plaisante le lanceur d’alerte, qui affirme qu’en moins de deux ans de recherches, il a accumulé suffisamment de preuves pour déboulonner ce qu’il appelle » le système Berraf ».
En effet, le lanceur d’alerte est devenu, malgré lui, le dépositaire exclusifs des secrets de Berraf. Dans son bureau, on trouve des pépites : des factures d’hôtels, des relevés bancaires ou encore ce qui ressemble à une plainte pour agression sexuelle. Elle est le fruit de sa dernière investigation, qui l’a emmené au fin fond de la brousse africaine, où il a retrouvé les « crottes » de l’intriguant Monsieur Berraf : « Une histoire de harcèlement sexuelle, apparemment étouffée par le département éthique de l’ANCOA ». Elle impliquerait bon nombre de cadres de l’organisation… dont Mustapha Berraf.
Modification du 17 et 18 mars 2025
Contrairement à ce que nous avons écrit dans la précédente version de cet article, l’ACNOA n’a jamais été condamnée à une escroquerie de 2,6 millions d’euro au préjudice de la société Pixcom. Cependant, le Tribunal de Versailles a bien reconnu à la société d’Alain Barbier, le patron de Pixcom, un préjudice financier, de même le Comité Olympique International, la maison mère de l’ANCOA, a reconnu, dans un courrier officiel, que la société Pixcom n’a jamais été payée dans le cadre d’un contrat qu’elle a signé avec l’ACNOA, en 2012. Le montant de ses prestations est estimé à plus de 2 millions d’euro.