Nous ne sommes pas en guerre, Manu !
La guerre, tu ne sais pas ce que c’est. Moi, je suis comme toi ; je ne l’ai jamais faite. Mais je m’en suis approché. Si tu savais… elle est terrifiante. Si tu entendais le bruit d’un obus, qui tombe sur une ville. Un de ces obus que tu vends par caisses entières à l’Arabie Saoudite et à d’autres… Ça glace le sang, même quand on n’est pas tout près de son impact.
Nous ne sommes pas en guerre, Manu.
La guerre, depuis la dernière, on l’exporte vers d’autres contrées. Cette année, ce pays que tu « présides » est monté sur la 3e marche du podium des plus gros vendeurs d’armes. L’un de ses principaux clients ? La monarchie wahhabite se donne à cœur joie de s’en servir au Yémen contre la population. Conséquences : des cadavres à n’en plus finir, des cimetières à perte de vue. Les chiffres ? 100 000 morts – dont 12 000 civils, rien qu’en 2015 -, d’après une étude menée par l’université du Sussex. Mais ni toi, Manu, ni ta Ministre de la Défense, ne semblez dérangés par ce lourd bilan. L’an dernier, l’Observatoire des armements indiquait que vous fournissiez même un soutien de premier plan à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis : matériel de guerre tactique, équipement de pointe… Il paraît que vous seriez même parvenus à pré-vendre le futur drone tactique Patroller aux Émirats arabes unis, l’allié dans la région de votre meilleur client. Et, pour corser le tout… vos conseillers militaires s’occupent des entraînements des forces spéciales saoudiennes, ce pays chéri et gâté, à l’origine des djihadistes.
Nous ne sommes pas en guerre, Manu.
Du moins, pas sur notre territoire. Mais, nous la menons au Mali. Parce que, tout près, les mines d’uranium que nous exploitons pourraient être menacées. Tu as choisi un camp en Libye aussi. Tu soutiens le maréchal Haftar. Tu le bichonnes, tant que tu passes à ses troupes rebelles des missiles importés des Etats-Unis. Tu lui envoies, là encore, des éléments des renseignements extérieurs, pour l’aider dans sa lutte. Pour… Mais, bien sûr, c’est pour la bonne cause, n’est-ce pas ? Le contrôle des migrations, la lutte contre Daech… les prétextes sont nombreux pour justifier cet engagement. Mais il est difficile de l’ignorer, Manu : la Libye détient les plus grandes réserves de pétrole d’Afrique, les dix plus importantes dans le monde. Et c’est pour cet or noir que tu fais ami-ami avec Haftar. Et qu’importe son lourd CV de chef de guerre. Qu’importe le drame de ce pays, saigné par des longues années de guerre. Les chiffres, là encore, donnent le tournis : depuis 2014, plus de 14 000 morts, dont près de 2500 civils, selon Armed Conflict Location and Event Data project (Acled), un projet de l’Université du Sussex.
Nous ne sommes pas en guerre, Manu.
Elle ne touche jamais vraiment les puissants. Alors que la crise sanitaire que nous vivons peut affecter n’importe qui. Même toi, Manu, même Boris Jhonson, même Charles ou Albert … C’est pour ça que vous paniquez ? C’est pour ça que vous mettez le monde sur « pause » ? C’est parce que tu as la frousse que tu emploies un vocabulaire martial ? Si vis pacem, parabellum (Si tu veux la paix, prépare la guerre). As-tu préparé cette guerre que tu dis mener ? As-tu écouté les alertes des vrais combattants, les vrais, les soignants, qui te préviennent depuis des années qu’ils manquent de moyens, qu’ils sont à bout, que l’hôpital va s’écrouler ? Non. Fidèle à ton mépris habituel, tu n’y voyais qu’un caprice, un peuple râleur, geignard, « une bêtise ». Aujourd’hui, tu caches ton imprévoyance et ton incompétence derrière de grands mots : union sacrée, civisme, devoir citoyen, morale républicaine, solidarité… Et tu rappelles, ad nauseam, le spectre de la guerre sanitaire, comme pour nous le faire rentrer dans le crâne, avec cette conviction qu’il faut mener les peuples par le bout du nez. Comme les mauvais enseignants forment les enfants, à la baguette, à coup de menaces, par la peur…
Nous ne sommes pas en guerre, Manu.
Les guerres, vous les fomentez, vous les entretenez… vous n’essayez pas d’y mettre un terme. Vous exigez de vos concitoyens qu’ils soient responsables, mais vous ne l’êtes pas. Depuis des années, dans une province de la République démocratique du Congo, les Kivus sont massacrés. Des femmes sont violées et mutilées. Des villages sont rasés… Des millions de citoyens, Manu. Tués. Morts. Sais-tu pourquoi ? Bien sûr que tu le sais, mais rappelons-le quand-même : parce que cette province est riche. Il n’y a qu’à se baisser pour y ramasser du coltan, cette poussière grise si nécessaire à la fabrication de nos ordinateurs, de nos téléphones portables, de nos satellites. Et pour ne pas avoir à payer son juste prix, les grandes multinationales – que tu célèbres à tout propos et que tu sers si bien – envoient des milices massacrer les populations civiles, pour se faire place nette. Ces gens sont en guerre, Manu ! Ils tombent sous les coups meurtriers de la course au profit… « quel qu’en soit le prix ».
Nous, nous ne sommes pas en guerre, Manu, mais vu comme vous vous y prenez, toi et tes petits camarades, ça ne saurait tarder.