Le Brésil est au bord de l’implosion. Le Ministre de la justice, Sergio Moro, accuse ouvertement le Président, Jair Bolsonaro, d’ingérence politique, avant de claquer la porte. Le Tribunal suprême fédéral vient d’ouvrir une enquête judiciaire. C’est la première étape avant le lancement d’une procédure de destitution contre Bolsonaro. La situation risque l’embrasement, le pouvoir titube, en pleine crise du coronavirus. Décryptage.
Digne d’une tragédie grecque. Chaque jour, le Brésil nous offre un nouvel épisode. Ses héros ? Un Président aux abois, mais qui n’a pas encore tiré son dernier baroud. Un ministre de la santé remonté, après avoir été écarté de son poste par le Président, son ancien ami, devenu son ennemi. Et puis, il y a le ministre de justice, Sergio Moro. Après avoir démissionné de son poste – ou poussé à la démission -, il a enfilé le costume de Robin des Bois et est devenu l’ennemi juré du Président ( son ancien amigo, devenu… ), qu’il accuse de pressions sur la police.
Dans le rets de la crise sanitaire, le Bresil se retrouve au cour d’une saga tragi-comique … où tous les facteurs sont réunis pour une final explosif. Si vous n’avez pas suivi les premiers épisodes, c’est simple : tout a commencé, début mars. C’est le Président, Jair Bolsonaro, qui a ouvert les hostilités. En tirant à hue et à dia, pour réprouver les mesures du confinement édictées par son ministre de la santé, Luiz Henrique Mandetta.
Son discours ? « Le covid-19 n’infecte que les personnes âgées ». Donc, « Il faut travailler » et « jeûner », car c’est la seule façon de « libérer le Brésil du mal ».
Comble de la parodie : lui-même n’hésite pas à braver le virus et à mettre ses sorties en scène. il a même surgi dans les rues de Brasilia, pour montrer « qu’il n’a pas peur ». Sous le soleil tropique de la capitale, il embrasse les militants, pérore ou serre les mains. Et comme ce n’était toujours pas assez pour marquer son désaccord avec la quarantaine, il déboule, le soir même, sur les plateaux de télévision, pour rajouter une couche : « certains vont mourir ? Oui bien sûr. J’en suis désolé, mais c’est la vie. On ne peut pas arrêter une usine de voitures parce qu’il y a des morts sur la route chaque année ». Bref, son galimatias oscillait entre des préoccupations économiques et des considérations divines, alors que le pays était dans l’œil du cyclone : déjà 240 morts et 7000 personnes infectées par le covid19.
Depuis deux mois, le peuple brésilien vit entre ces deux cauchemars : le spectre du virus et l’hydre mortifère d’un Président en déraison. Ce cocktail explosif a provoqué un séisme dans le pays. Y compris dans son propre camp. Le premier révolté est le ministre de la santé. Bien sûr… Il a tenu une conférence de presse, pour annoncer le renforcement des mesures barrière qu’il avait prises la veille. Crime de lèse-ascendance : le soir même, le Président l’a convoqué dans son bureau pour un remontage de bretelles : il parait que les deux hommes ont failli en arriver aux mains. « Je vous dénoncerai publiquement », lui a dit, Luiz Henrique Mandetta. « A la moindre déclaration de votre part, je vous mettrais à la porte », l’avais prévenu, le Président.
Pente savonneuse …
Révélée par la presse brésilienne, cette explication de gravure tourne à la guerre des tranchées. D’un côté, un Président en « croisade » contre le confinement et, de l’autre, tous ceux qui ne veulent pas badiner avec la santé publique.
En premières lignes, le ministre de la santé, bien sûr, mais aussi celui l’Économie, Paulo Guedes, le président du Tribunal suprême fidéral, José Antonio Dias Toffoli, et le Procureur Général de la République, Augusto Aras. Sans oublier son bras droit, le très charismatique Garde des sceaux, Sergio Moro. Un homme qui a des coups de maître à son actif – dont la condamnation de l’ancien President, Lula Da Silva. Lui n’est pas allé avec le dos de la cueillir, pour prendre ses distances avec son mentor. C’est dans les colonnes de Estado de Minas, l’un des plus importants journaux du pays, qu’il s’est fendu d’une déclaration de divorce : « Les mesures de distanciation sociales sont indispensables pour éviter la propagation du virus et l’effondrement du système de santé brésilien ».
Désormais, le linge sale est sur la scène publique. Mais au lieu de calmer le jeu, Bolsonaro a préféré dégainer son 49,3 : un décret présidentiel, qui autorise « les jeux dans les lieux » publics, « activités essentielles à la nation ». Et, pour corser le tout, il s’est lancé sur la pente savonneuse de la crise économique à venir, « qui va engendrer de graves problèmes », si les brésiliens ne reprennent pas le travail. Plus grave que le Covid19, donc …
Le coup de grâce de l’armée ?
Trop, c’est trop : immédiatement, la justice s’est saisie de l’affaire et a invalidé son ordre exécutif. Ailleurs dans le pays, les crimes de lèse-ascendance se sont enchaînés. Gouverneurs de régions, chefs de bureaux politiques, journalistes… même la presse libérale l’a lâché. C’est le cas du Journal do Brasil, Folha de S.Paulo ou le groupe O Globo – ces mêmes médias qui l’avaient soutenu pendant les élections de 2018. Leurs articles sont des brûlots à l’encontre du Président et sa famille, notamment la crème de la crème de ses fidèles : son fils « Carlos ». « « Le Pitt bull » comme le nomme papa », précise, avec ironie, le journal Folha de S.Paulo.
L’Eglise catholique n’est pas en reste : à Curitiba, capitale de l’État de Paraná, au sud du pays, Monseigneur Reginaldo Manzotti, a fermé son église – l’Église Nuestra Señora de Guadalupe -, mais continue à officier, non pas devant ses fidèles, mais face à leurs photos – qu’il avait récupérées. En moins d’une semaine, le Président a été isolé dans son propre camp. Le coup de grâce devait venir de l’armée : c’est avec un ton martial que le général Edson Leal Pujol a rappelé les ordres : « le coronavirus la mission la plus importante de notre génération ». Donc, le confinement sera observé, de grès ou de force. Mauvais signe : la dernière fois que l’armée est sortie de ses casernes (1965), pour mettre sa pâte dans les affaires internes du pays, elle a fini par planter une dictature jusqu’en 1985.
Les démons de cette période noire sont encore présents dans la mémoire brésilienne. De fait, ce cri de la « grande muette » a déclenché des inquiétudes. Et des interrogations : est-ce un coup de gong qui annonce le retour des militaires au pouvoir ? Le début de la fin de la démocratie ? C’est dans cette atmosphère très tendue que le Bolsonaro a décidé, ce 31 mars, de reprendre les ondes pour s’adresser à la Nation. Cette fois, son discours n’a rien à voir avec ses algarades de la semaine passée. Il tente un virage à 180 degrés, manifestement résolu à revoir sa partition : « nous sommes face au plus grand défi de notre génération, a-t-il déclaré. Ma préoccupation a toujours été de sauver des vies… ». Trop tard ! L’armée avait déjà pris sa décision. Ce 1 er avril, l’info est tombée comme un couperet : le général Walter Braga Netto est nommé pour reprendre la gestion des « affaires du gouvernement ». C’est la gazette de l’armée, Defesanet, qui l’a annoncé. « Il sera Président opérationnel », a-t-elle ajouté, sans donner davantage de précisions, sinon : qu’il s’agit d’une décision qui ferait « suite à un accord entre les Ministres, les militaires et le Président de la République ».
Personne n’est dupe : la décision de l’écarter du centre de décision ne fait pas de doute. Mais pour éviter une crise politique, dans le rets d’une crise sanitaire, les militaires ont éviter de le pousser à la démission. Un putsch silencieux, donc… A l’époque, Alberto Almeida, analyste politique à l’Institut Brasilis, n’en avait pas le moindre doute : « le président Bolsonaro n’a pas voulu être le chef de la lutte contre le coronavirus. Il a laissé le terrain libre au Ministre de la Santé et à une partie de l’armée ». Et, signe des temps, son excès de zèle a servi de casus belli aux militaires, pour opérer leur retour au pouvoir, 55 ans après le coup d’Etat de 1965. C’était un 1er avril…
Les lobbys de la bible.
Reste le problème : Bolsonaro ne fait pas cavalier seul. Il est toujours soutenu par les « les lobbys de la bible » : les évangélistes qui imposent leur ordre, dans sa version la plus radicale. Notamment ce cercle qu’on appelle « le noyau idéologique », dont il s’est entouré à la Présidence : ses leaders sont les évangélistes les plus ultra du pays. Ce sont eux, ces cavaliers de Dieu, qui l’ont soutenu pendant les élections de 2018. Eux, qui lui ont fait la courte échelle, dans sa « croisade » contre confinement. Eux, encore, qui ne veulent pas en démordre, aujourd’hui, tant qu’il n’a pas retrouvé tout son pouvoir. Problème: dans l’hypothèse d’un bras de fer avec l’armée, le pays risque de plonger dans le chaos : car les évangélistes représentent un tiers de la population brésilienne et les chefs religieux – pour la plupart acquis à Bolsonaro – constituent une force irrépressible dans le pays.
A leur tête, une star locale qui met les foules en transe : le médiatique pasteur évangélique Silas Malafaias, chef de l’une des plus grandes églises du pays – « l’Assemble de Dieu Victoire du Christ », connu pour sa tendance à vanter les vertus scientifiques de la religion. « l’Église est une agence de santé émotionnelle, toute aussi importante que les hôpitaux », aime-t-à répéter.
Ces temps-ci, l’homme tire à boulet rouge, depuis son temple du quartier de la Penha, dans le nord populaire de Rio. Ce vendredi, il a appelé ses brebis à « ne pas entrer dans une névrose folle » : « notre église va garder ses portes ouvertes ! L’église doit rester l’ultime bastion de l’espérance du peuple. Nous croyons que Dieu a le contrôle de toute chose. Nous croyons au pouvoir de la prière. C’est notre arme ! ». C’est aussi son arme de soutien à la folle logique du Président contre l’armée.
Sa « fatwa » a fait des émules : le puissant pasteur de l’Église Universelle du Règne de Dieu de Sao Paulo, Edir Macedo, a rejoint le camp des « croisés ». Dans une vidéo, qu’il a postée sur facebook, il veut agir comme une force de frappe sur le cerveau de ses deux millions de fidèles. Un seul mot d’ordre : « ne pas se préoccuper du coronavirus », car la pandémie est une « tactique », orchestrée par Satan et les média, pour semer la « terreur ».
Coûte que coûte, il faut donc sauver le soldat Bolsonaro. Car le Trump des tropiques, c’est son surnom, est l’aboutissement de leur éternel “jihad” pour la conquête du pouvoir : Bolsonaro a fait ses classes dans le creuset de la droite radicale religieuse et, devenu Président, il n’a jamais coupé le cordon avec ses mentors, qu’il sert aveuglément. Quitte, parfois, à friser le ridicule, quand il se lâche, via des diatribes décapantes, contre les noirs et les homosexuels.
Est-ce eux, les évangélistes, qui l’ont poussé à se défaire de ses Ministres de la Santé et de la justice ? Eux qui ont pesé sur la décision de l’armée à le suivre dans sa piteuse décision ? Une chose est certaine : c’est désormais à la justice qu’il doit répondre de ses actes. Le président brésilien pourrait faire face à un processus de destitution, après l’ouverture d’une enquête, ce lundi, par la plus haute juridiction brésilienne sur la base d’accusations d’“ingérence” dans des affaires judiciaires, portées par son ancien Ministre de la Justice.
Le juge du Tribunal suprême fédéral du Brésil, Celso de Mello, a donné 60 jours à la police fédérale pour interroger Sergio Moro, qui avait claqué la porte du gouvernement, ce vendredi. En attendant, c’est à la télévision brésilienne que cette saga continue. Récemment, l’ancien ministre de la justice y avait déboulé avec un paquet de preuves à la main. Entre autre, un échange de Sms avec son ancien mentor, qui lui aurait demandé de limoger le chef de la police fédérale. ” Sans cause réelles”. Mais les brésiliens ne se montent pas l’esprit pour des considérations politiques. Ils savent que Bolsonaro n’a de blanc que la peau. C’est un ultra nationaliste doublé d’évangélisme. Ils fustigent également les ministre de la justice. Pour eux, cette affaire “d’ingérence”, quand bien même serait-elle vraie, est une carte politique, qui lui permet de se poser en ” sauveur”, pour se présenter aux prochaines élections présidentielles. En ce moment, les brésiliens sont plutôt bouleversés par la violence de l’épidémie. En quelques semaines seulement, le bilan du coronavirus a explosé le compteur : de 240 décès en mars, il vient de dépasser la barre des 5000 morts.