À peine le régime Assad tombé, les vieilles logiques de purge confessionnelle reprennent le dessus. Cette fois, c’est la minorité druze qui paie l’addition d’une transition introuvable et d’une revanche soigneusement ciblée.
C’était l’un des scénarios les plus redoutés, mais aussi les plus tus : la fin du régime Assad ne signifierait pas la fin de la violence, seulement sa redistribution. Une violence plus insidieuse, plus lâche, maquillée en justice populaire et dirigée contre ceux qui, hier, incarnaient la complexité syrienne. Après les massacres d’Alaouites en mars, une nouvelle communauté est visée. Les Druzes, présents en Syrie, au Liban et en Israël, sont devenus le point de fixation d’un pouvoir de transition en quête d’ennemis expiatoires.
Le prétexte était grossier. Un message audio jugé blasphématoire, diffusé sur les réseaux sociaux, attribué à un Druze — puis démenti. Trop tard : les milices sunnites affiliées au nouveau pouvoir s’étaient déjà mises en marche. Jaramana, près de Damas, devient le premier théâtre d’opérations. L’Observatoire syrien des droits de l’homme dénombre 102 morts en deux jours : des civils, des combattants druzes, mais aussi des membres des forces de sécurité. Une guerre de proximité, sans théâtre, sans armée régulière — une guerre d’effacement.
La réponse des autorités religieuses druzes est claire. Le cheikh Hikmat al-Hajri parle de « campagne génocidaire », appelle à l’intervention internationale et dénonce la duplicité d’un État « qui utilise ses propres milices extrémistes pour ensuite jouer les pompiers ». Le président par intérim, Ahmed al-Charaa, condamne à son tour, mais dans le vide : ses mots tombent dans une Syrie fracturée, où la parole de l’État n’a plus d’écho que dans les chancelleries étrangères.
Le signal d’alarme vient d’ailleurs. Israël, dont la minorité druze fait partie intégrante de l’appareil militaire, bombarde les abords du palais présidentiel à Damas le 2 mai. Tel-Aviv prévient : toute menace contre la communauté druze déclenchera des représailles. En une frappe, l’affaire syrienne devient régionale. Les minorités deviennent des cartes, les morts des leviers diplomatiques.
Il y a dans cette séquence une leçon cynique : la révolution syrienne n’a pas produit de rupture, seulement une permutation. Ceux qui dénonçaient hier les purges confessionnelles semblent aujourd’hui s’en accommoder. L’ère post-Assad s’ouvre dans le sang et l’ambiguïté. Le pluralisme syrien, déjà mis à mal par des décennies de pouvoir autoritaire, est désormais sacrifié sur l’autel d’un nouvel ordre, aussi brutal que l’ancien.