Mauvais élève qui saute les classes, en copiant sur le voisin ou nouvelle épidémie politique, partie de Marseille pour gagner le reste de la France ? L’affaire que nous révélons est un copier-coller de celle de l’ex maire de Marseille, Jean Claude Gaudin. Rappelez-vous : la semaine dernière, il a été mis en garde a vue pour avoir prolongé l’activité de ses collaborateurs, bien au-delà de l’âge de la retraite. En cause, dans cette édition, Cécile Helle, la mairie socialiste d’Avignon – réélue en 2020. Pendant 4 ans et demi, elle s’est arrimée aux « loyaux » services de son ancien directeur de cabinet, qu’elle a gardé en poste jusqu’à 70 ans !
L’homme en question s’appelle jean Claude Maublanc. Il devait rendre le costume à 65 ans, mais il n’a plié bagage qu’à la fin du premier mandant du maire, en juin dernier. Pourtant, contrairement à son comparse marseillais, il n’est pas poursuivi par la justice, alors que les deux affaires obéissent à la même mécanique : celle des fraudes lucratives des politiques affairistes.
Mais, nous dira-t-on, les deux « bouillabaisses » n’ont rien de commun. Regardons de près … Gaudin a été interrogé par les policiers, car il avait prolongé les contrats de ses employés de plus de 70 ans. Dont 11 personnes de plus de 69 ans – et majoritairement de 70 ans et plus – la doyenne du cabinet du maire, chargée des relations publiques – et âgée de « plus de 77 ans, fin 2018 » et d’une vacataire – morte depuis -, qui avait plus de 82 ans à son départ, fin 2017. Sa garde à vue, qui a duré plus de 10 heures, a fait suite à une information judiciaire, ouverte en juin 2019, pour « détournement de fond par une personne chargée d’une mission de service public ». Manque à gagner pour les contribuables : plus d’un million d’euro.
Détournement de fonds publics ?
Et l’affaire Maublanc ? « Une copie conforme »… « du papier charbon… », disent les Avignonnais. Car de 2015 à 2020 – donc de ses 65 à 70 ans -, Jean Claude Maublanc n’a pas renoncé à un seul de ses « droits » : le salaire, le bureau, le centre de décision, les primes, les restos, les hôtels … Pourtant, les textes sont clairs : aucun agent public, né avant le 1 er juillet 1951, ne peut garder son poste après 65 ans. Ce sont les règles, qui régissent la limite d’âge dans la fonction publique, qui le disent. Et selon Maitre Josselin Bretelle, avocat en fonction publique au barreau de Draguignan, le Conseil d’Etat l’a confirmé à de nombreuses reprises : « seules peuvent bénéficier d’une dérogation les personnes, qui ont des enfants à charge ou qui sont en manque de semestres pour compléter leur retraite ».
Notre enquête est formelle : Maublanc ne répond à aucun de ces critères : car il est né en décembre 1950. De plus, il est père de deux enfants, adultes. Et, de toute façon, légalement, rien ne permet de pousser l’âge de la retraite au delà de 67 ans. « Et jamais jusqu’à 70 … », précise l’avocat.
Mais alors, pourquoi lui a-t-on chauffé le fauteuil, quitte à marcher sur les textes … ?
Plusieurs fois contacté par le Correspondant, l’édile d’Avignon a botté nos questions en touche. « Trop occupée pour vous répondre », élude sa secrétaire. En effet… très affairée à échafauder son plan de com, « pour étouffer les révélations du Correspondant ». Comme après l’éclatement de cette affaire dans la presse locale, en 2017 : les services de la mairie oscillaient d’une explication à l’autre, « pour noyer le poisson » et jeter l’opprobre sur l’opposition – qui demandait des comptes.
Maublanc, à tout prix
C’est Darida Belaidi qui en a fait les frais. Ancienne adjointe au logement de Cecile Helle, avant de passer dans l’opposition, elle était la première à avoir lancé l’alerte, lors d’un conseil municipal, en décembre 2017. A l’adresse de Jean Claude Maublanc, elle déclarait alors : « Je vous souhaite une bonne retraite ». C’était quelques jours seulement avant « ses 67 piges ».
Son ironie lourde de bon sens – et largement relayée par les médias locaux – aurait dû déclencher le licenciement du directeur de cabinet et l’arrêt immédiat des versements de son salaire. Las. La main dans le sac, la maire d’Avignon a préféré tirer à hue et à dia. Qualifiant les propos “de scandaleux et déplacés ». Avant d’ajouter avec un affolant sentiment de surpuissance : « les élus auront l’occasion de le croiser dans les couloirs de l’hôtel de ville, jusqu’à la fin de mon mandat ». Sous-entendu : au diable cette « balance » de Belaïdi, l’empêcheuse de tricher en rond.
Mais, en privé, pour dissuader l’opposition de porter plainte et réussir à retourner la situation à son avantage, Cecile Helle est allée jusqu’à prétendre « qu’elle était dans son bon droit de le garder en poste », se souvient Jean Pierre Cervantès, du parti « Écologiques sociale et solidaire ». Même son de cloche du côté de Florian Borba de Costa, ancien adjoint au commerce à la mairie : « ils nous disaient qu’ils étaient dans la légalité ». Les yeux dans les yeux …
Aujourd’hui encore, on a du mal à « digérer les mensonges ». Notamment ceux d’un autre apprenti sorcier : Jean Claude Maublanc, lui-même. Il avait poussé le culot jusqu’à débouler dans les manchettes pour le brandir, bravache : « nous sommes tranquilles, tout est dans les clous ». Pour preuve, il évoquait un rapport pondu par un « illustre » cabinet d’avocat marseillais, censé avoir apporté sa caution… à la fraude en cours. Jérôme Cahuzac n’aurait pas fait mieux !
Méthodes de “barbouzes”
Mais le plus sordide reste à venir : durant plus de 6 ans, l’encombrant directeur de cabinet, d’une austérité ascétique, a concentré tous les pouvoirs entre ses mains. Ses méthodes sont mille fois décriées par des élus : « durant le conseil municipal, il levait la voix bien haut pour étouffer celle des autres », confie l’ancien adjoint. « Mais quand il était très mécontent, il en arrivait aux mains », ajoute Borba de Costa. Qui avait lui-même « subi ses foudres », il y a quelques années, lors de l’inauguration de la rue de la Bonneterie, dans le centre-ville d’Avignon : « il m’a attrapé par le cou et ma bousculé, devant les administrés ».
L’’altercation avait fait le show de la presse locale de l’époque, mais ce n’est là que la face visible de l’iceberg : le cow-boy de la Cité des Papes avait plutôt l’habitude de se “déchaîner” dans le catimini de son bureau : « hors témoins », lâche un autre collaborateur, qui pointe ses méthodes de « barbouzes » : « quelques fois, il nous demandait de monter des dossiers personnels pour faire pression sur les élus ».
En clair, sa manière et sa façon d’être n’avaient qu’un crédo : se lancer aux trousses de ceux qui dérangeaient et gagner un maximum d’argent, « le plus longtemps possible », pour s’assurer une retraite de luxe.
Son salaire ? Le plus haut de la fonction publique de la ville. Peut-être 7000, peut-être 8000 Euro. C’est ce que nous écrivions dans notre dernière édition. De nouveaux documents en notre possession le précisent : il a été recruté sur la base de l’article 110 de loi relative aux collaborateurs de groupes de cabinets et son salaire exact était de 87204,00 euros par an, soit la rondelette somme de 7267 Euro mensuels.
Au bout de 4 ans et demi d activité illégale, la bagatelle dépasserait les 400 000 euros. Sans compter les avantages en nature ou « les cadeaux », comme le « paiement de congés … non pris ». Autant de préjudices et d’éléments troublants pour les administrés … mais suffisants pour déclencher une instruction judiciaire.
Fait curieux : l’affaire n’a toujours pas suscité un seul raclement de la gorge de la part des autorités. Ni les « gendarmes » de la cour des comptes, ni l’opposition à fleuret moucheté, ni les « flics » du trésor public ne sont venus lui rendre les déshonneurs qu’il mérite – comme ils viennent de le faire avec Jean Claude Gaudin.
Seule la volonté de la Préfecture du Vaucluse détonnait dans ce paysage de Panurge : en 2017, un haut fonctionnaire a eu une micro-idée de déterrer l’affaire, mais faute de « disposer d’un pouvoir hiérarchique pour engager des poursuites », son initiative s’est heurtée à une muraille d’impuissance : car seul le procureur de la République et la Cour des comptes sont habilités à se saisir du dossier. Mais le « payeur » s’était limité au minimum syndical, en jouant les « conseillers », via l’envoi d’une note interne à l’ensemble des institutions publiques du grand Avignon – juste pour rappeler les textes. Comme s’il s’interdisait de frapper fort à la porte, de crainte de se faire taper sur les doigts.
Manifestement, il y a quelque chose de pourri à la Cité des Papes !
Article modifié le 1 mars 2021