Dans une société où la communication et le changement sont hautement valorisés, l’enfant autiste intrigue et questionne. Pourquoi sa manie à fixer de son regard un objet ou à répéter les mêmes bruits et les mêmes gestes, incessamment ? Pourquoi ses éclats et ses agitations, à chaque fois quand on s’approche de lui ? Pourquoi est-il baveux, déglutissant, dans le jculte de la solitude et dans le rejet de l’échange ? Depuis plus de deux siècles, le corps médical se coupe les cheveux en quatre pour percer le secret de l’autisme. Las. L’autiste est resté figé dans sa bizarrerie, la société s’en offusque et les experts, comme Sisyphe, continuent à se battre avec leur rocher. Retour aux origines d’un mal mystérieux …
« Spectre autistique », disent-ils… ». Malades mentaux », « handicapés », « idiots » ou encore « enfants prodige ». Le corps scientifique, depuis la nuit des temps, n’a jamais réussi à accorder ses violons pour percer le secret de l’autisme.
Deux siècles après son apparition, on ne sait toujours pas le soigner, on ne sait pas le diagnostiquer, il n’existe aucun test sanguin, aucun enregistrement, aucune image du cerveau qui permette d’affirmer ou d’infirmer l’existence d’une évolution autistique.
Forcément, en pareils échecs, on s’affole, on se chamaille, on verse sa science infuse dans les revues, les librairies, on tape du poing sur la table et on remet des « coups de poings » sur les « I » de son incurie.
A la télé, on débat sur les limites de l’autisme, sur sa place dans la nosographie – maladie ou handicap ? – sur la nature de ce trouble – déficit ou défens ? -, sur son origine – inné ou acquis ? – ou sur les soins adaptés – psychothérapie ou modification du comportement par l’éducation.
A l’Assemblée nationale, on pond des lois, des résolutions. Selon qu’on soit pro-cliniciens ou théoriciens, on se dresse les uns contre les autres, on pèse sur la recherche, on chante les louanges des psys ou des médecins ( selon… ) et, à l’occasion, on va serrer la main des familles. Pour leur mettre du baume au cœur, pour célébrer la journée de l’autisme, dénoncer la ségrégation, la recherche – qui n’avance pas -, puis on retourne encore à la télé pour taper du poing dans l’étable, éructer contre les psys, les médecins, les neurologues…
Ces derniers temps, même les familles des enfants autistes prennent place dans l’arène. Manifestations, pressions sur les personnels politiques, lobbying aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne… L’opinion majoritaire des familles, souvent organisées en associations, devient une vérité scientifique, qui va jusqu’à orienter la recherche et ses conclusions.
Effet pervers : les psys ne savent plus à quel saint se vouer, les connaissances empiriques restent rares et fragiles, les professionnels ne peuvent se targuer de certitudes fondées sur des données de laboratoire, la recherche boite, l’arène est toujours remplie de fantassins, alors même qu’en France, chaque année, plus de 8000 enfants viennent au monde, flanqués d’un « mal » qui ne dit toujours pas son nom.
Cette guerre d’un nouveau genre mitraille les espoirs. Les parents sont désemparés et le gouvernement ne répond pas toujours à l’appel. Déjà, dans les années 60, des mouvements de parents avaient maille à partir avec les autorités de l’époque. La Fédération Autisme France, en 1965, en est arrivée à déférer le pays devant le « Comité des Droits Sociaux du Conseil de l’Europe », alors qu’elle ne demandait rien de plus qu’un peu d’égard : des structures spécialisées ou un chouya d’éducation adaptée aux autistes.
En 1996, enfin, le gouvernement a décidé d’apporter quelques retouches à la constitution et de donner un statut particulier aux personnes autistes. Plus tard, un tout petit budget du Ministère de la Solidarité a permis d’instaurer des journées d’informations sur l’autisme. Du symbole, une obole…, éructent ceux qui connaissent le calvaire des enfants autistes, ballottés, malmenés et maltraités.
Pis. A une époque, ils étaient même assimilés à des « idiots incurables ». Aux États-Unis, ils étaient castrés dans des asiles, alors que dans la France du 18ème siècle, des médecins ont fait campagne pour les éliminer, avant qu’ils ne grandissent et qu’ils ne se reproduisent. Et l’on s’étonne que le régime nazi, quelques décennies plus tard, a décidé de les transformer en souris dans ses labos, avant de les dézinguer …
C’est cette terrible histoire, longtemps enfermée derrière des débats déraisonnés, que nous avons décidé de mettre à l’honneur, dans Le Correspondant, à l’occasion de la Journée International de l’Autisme.
Notre journaliste, prix Albert Londre, Christophe Weber, fort de l’expertise d’Astrid Miserey, psychologue, arpente les coursives de cette étrange affection, qu’il explore depuis l’apparition, en 1800, de « Victor, l’enfant sauvage », ce gamin découvert, au hasard, par des chasseurs dans l’Aveyron.
Il ne parlait pas, il avait des expressions corporelles désordonnés, il était maniaque…, en fait, il était autiste – aurait dit la science d’aujourd’hui -, mais à l’époque ce mot n’existait pas. La communauté scientifique était divisée, qui voyait en lui « un arriéré mental incurable », qui pointait un « déficient éducatif, affecté par son isolement social prolongé », qui le rangeait dans la case des « idiots ».
C’est un dossier dense et éclairant, qui relate les multiples batailles idéologiques qui ont jalonné la recherche sur l’autisme, cette étrange affection à laquelle la psychiatrie doit une grande partie de ses progrès.
Nous le déclinons, ici, en trois parties.