Dans les brumes polaires, là où les cartes s’effacent dans le blanc des glaces, le Groenland glisse doucement au cœur de toutes les attentions. Plus question aujourd’hui de le voir comme une simple étendue gelée. Aux yeux des États-Unis, c’est un poste avancé, une sentinelle stratégique, un réservoir silencieux de ressources. Et pendant que les ambitions s’aiguisent, le Danemark, propriétaire officiel, semble pris de court, tenu de protéger une terre à laquelle il peine, parfois, à accorder toute sa vigilance.
Le lien entre Copenhague et le Groenland est ancien, tissé dans l’histoire coloniale et les silences de l’Atlantique Nord. Depuis 1721, le Danemark a gouverné cette île lointaine, avant de lui accorder, en 1953, un statut plus autonome. Mais les vieilles attaches ne se défont jamais tout à fait. La question de l’indépendance rôde depuis longtemps, tapie dans les marges des discours officiels. Elle s’est retrouvée propulsée sur le devant de la scène en 2019, lorsqu’un président américain, fidèle à son style décomplexé, proposa d’acheter l’île. La stupeur fut générale, l’idée vite rejetée — mais l’écho, lui, demeure.
Aujourd’hui, ce n’est plus Donald Trump qui occupe le devant de la scène, mais son héritier d’esprit, le vice-président J. D. Vance. Son ton est plus mesuré, sa méthode moins brutale. Mais le message, lui, n’a guère changé. Lors d’un passage remarqué sur l’île, il a rappelé à demi-mot que les États-Unis n’ont pas renoncé à leur intérêt pour le Groenland. Il a même laissé entendre qu’en cas d’indépendance, Washington pourrait se montrer… généreux. Un geste d’amitié, bien sûr — mais qui laisse transparaître l’ombre de quelque chose de plus vaste.
À Copenhague, la réaction n’a pas tardé. La Première ministre Mette Frederiksen a rappelé fermement que le Groenland n’était pas à vendre, et que sa souveraineté ne souffrirait pas d’ambiguïté. Le ministre des Affaires étrangères, lui, a dénoncé une remise en cause des règles du jeu international. Un rappel à l’ordre adressé, sans éclats mais sans détour, à un allié dont les manières deviennent parfois… pressantes.
Sur l’île même, l’ambiance est plus trouble. La classe politique groenlandaise, récemment renouvelée, semble décidée à reprendre la main sur ses affaires. Le mot d’indépendance circule de nouveau, moins comme un slogan que comme une possibilité. Et dans ce contexte, chaque visite venue de l’étranger, chaque déclaration prononcée à Washington ou à Copenhague, résonne avec une intensité nouvelle. Le Groenland observe, écoute, jauge.
Du côté américain, l’intérêt est limpide. Sous les glaces, des promesses de minerais rares, d’hydrocarbures, de voies maritimes nouvelles qui, demain, pourraient redessiner la carte du commerce mondial. Et si l’on gratte un peu la surface, on perçoit l’obsession d’un front nord à sécuriser — un flanc arctique devenu stratégique, dans un monde où l’incertitude géopolitique ne cesse de croître.
Le Groenland, lui, avance à pas feutrés. Il sait que les regards se multiplient, que les propositions affluent, que les promesses se font plus insistantes. Et derrière les gestes officiels, c’est une forme de glissement qui se joue : celui d’un territoire longtemps tenu à distance, qui devient soudain central, disputé, courtisé. Reste à savoir si cette cour sera celle d’une émancipation choisie… ou d’une nouvelle dépendance.