Voyage à travers la Via Egnatia. Une route mythique, bâtie par l’Empire romain, au 2ème siècle de notre ère, pour rallier Rome à Byzance, la capitale romaine orientale. Elle brasse tout le sud de l’Albanie, le nord de la Macédoine, le sud de la Grece, jusqu’aux portes de l’Asie.
Au fil des siècles, cette voie sera un formidable outil pour une multitude d’empires, porteurs de philosophies, de religions et d’idéologies différentes, et parfois même opposées.
Marine Haxhimihali, Archeologue albanais : « C’est un cadeau d’avoir la maison à coté de la voie, mais c’est un cadeau douteux. Puisque cette voie peut amener des richesse, du progrès mais elle peut amener aussi des douleurs… et c’est le cas de la via Egnatia ».
A travers les plus beaux paysages d’Albanie, la voie Egnatia se déploie sur 1200 kilomètres et sera la spectatrice de plus de deux milles ans d’histoire. Depuis son glorieux passé Romain… Les débuts du christianisme, les invasions Ottomanes, et jusqu’à l’indépendance du pays…
Celle qui a façonné le destin et le visage de l’Albanie, la via Egnatia est aujourd’hui la véritable gardienne de la mémoire Albanaise.
Dürres, un silène
Juste en face des côtes Italiennes, au bord de la mer adriatique, une cité à la réputation d’être douce le matin, souriante l’après midi, heureuse toute la journée. C’est Dürres.
Véritable carrefour entre l’orient et l’occident, c’est d’ici que part la Via Egnatia.
Au 2ème siècle avant Jésus Christ, l’Empire romain est en plein expansion et Rome domine des territoires qui s’étendent jusqu’aux portes de l’Asie. La situation géographique de Dyrrachium, c’est le nom de Dürres à l ‘époque, en fait une base idéale pour les Romaines.
En plein cœur de la ville, un édifice laisse deviner ce qui était alors la toute puissance de Rome : c’est l’Amphithéâtre Dürres.
Eduard Shehi, archéologue albanais :“D’habitude les Romains construisaient les amphithéâtres en partant du niveau du sol, alors que la particularité ici c’est que ici un tiers de la hauteur de l’Amphéâtre s’appui sur le dos de la colline”.
Une Arène de plus de 60 mètres de long, et des gradins hauts de 18 mètres qui pouvaient accueillir jusqu’à 20 000 spectateurs… C’est l’Amphithéâtre le plus important de cette partie du monde.
Eduard Shehi : « Pour moi, en tant que archéologue, cet amphithéâtre représente la grandeur et l’importance de la ville de Dyrrachium. C’est l’image de la grandeur que Rome voulait laisser apparaître ici »
Pour les ingénieux stratèges de la Rome Antique, divertir le peuple est alors la meilleure arme pour s’imposer durablement dans la ville. Mais c’est avec une route qu’ils vont étendre leur influence dans toute la région…
Jusqu’au 4ème siècle, elle permettra aux romains d’acheminer leurs troupes jusqu’à Byzance, leur capitale orientale. Sur son chemin, dans la région de Pogradec, à 60 km de Dürres, on trouve un des derniers vestige témoignant de cette force militaire romaines…
Une aire de stationnement servait alors de halte pour les milliers de légionnaires et autres cohortes de militaires en mission sur la route. Ses pierres, vieilles de 19 000 ans, confèrent à sa mine quelque chose d’éternel.
Marin Haxhimihali : ” Quand on rentre ici, on est rentré dans l époque romaine. Ici, peu de choses ont changé. Il y avait une dizaine de stations comme comme ici, mais celle ci est la mieux conservée. Il y avait, d’un côté, les bains romains et les salles de repos pour les hommes et, de l autre, des stations de ravitaillement réservées aux chevaux. C est un monument illustre».
Au 4ème siècle, Constantinople et l’Empire oriental renie l’ autorité de Rome et épouse le christianisme.
Le village des croisés
Commence alors les temps durs de la christianisation forcée. Des expéditions de pèlerins armés sont organisés par l Empereur Justinien, et c’est par le via Egnatia, qu’ils vont pénétrer l albanie, faire pousser les églises et contraindre la population à se convertir.
A 30 kilomètres de là, sur la voie, posé sur le lac d’Horid, un petit village de pêcheur ne fera pas exception.
Le village de Line possède encore 7 églises pour moins de 500 habitants.
Aux premières heures de la christianisation, ici aucune Églises… Mais les prophètes venus de Byzance sont bien décidés à hisser la bannière céleste sur les toits de ses petites maisons de pêcheurs. Et au 5ème siècle, sur les hauteurs du village, ils vont bâtir une imposante basilique.
Marin Haxhimihali : « Ici à Line, ça paraît petit, mais il y a 7 mosaïque différentes. Toutes cette surface, ce sont toujours des motifs paléo chrétienté. Des oiseaux, des grappes de raisins. Tous les motifs de caristie. Là ils ont choisi l endroit différent, typique de l époque paléo Chrétiens. On choisi toujours des endroits pour être vus, pas seulement par les gens d ici, mais être vu aussi par les caravane et les gens qui passe par la voie qui n’est pas loin”
Cette basilique jouera un grand rôle dans la diffusion du christianisme, mais l’édifice finira en ruine.
A partir de 1407, les invasions qui suivront vont dépouiller le pays. Les slaves, les Barbares, mais surtout l’empire ottoman qui va , à son tour, s’appuyer sur la via Egnatia pour contrôler le pays pendant 500 ans.
Ils renforcent alors le réseau routier, bâtissent des ponts sur la voie… et imposent au peuple une nouvelle religion.
La ville aux mille fenêtres
Toujours plus à l’est sur la voie Egnatia, une coquette ville aux milles fenêtres semble flotter sur la rivière Osum : c’est Berrat
Entre le 15ème et le 19ème siècle, le régime ottoman fait régner la terreur dans le pays : les églises sont détruites ou transformées en mosquées. Les enfants sont déportés et subissent un bourrage de crâne avant de revenir sur leur terre natale, pour à leur tour asservir la population.
Berrat est une des dernières villes d’albanie à tomber entre les mains des ottomans. Ironie de l’histoire : alors que d’autres cités tentent de résister, Berrat, elle, va accueillir l’occupant à bras ouvert.
Mémoire de cet époque, “la mosquée de plomb” trône en plein coeur de la ville. Érigée au 19ème siècle, elle est la plus vielle mosquée d’Albanie.
Sa coupole est construite en bois. Il y a aussi les décorations florales et autres éléments de couleurs rouges
Sur les plafonds sont gravés les différents noms d Allah et les 99 édits du prophète Mahomet en langue arabe, qui était alors imposée à tous.
C’est ainsi que pendant près de 500 ans, l’empire ottoman va signer l’arrêt de mort de la langue albanaise et avec elle l’identité de tout un peuple… Mais, bientôt, plus à l’est à 100 kilomètre de Berrat …un vent de liberté va se lever sur le pays.
Juste à côté, la Grèce.
Située à une trentaine de kilomètres de la frontière grecque, Korcé est une des dernière ville Albanaise que traverse le Via Egnatia.
Korce, ville d’art et de culture, est connue pour avoir accueilli la première école en langue albanaise, mais ce sont ses allures d’un petit Paris, qui attirent aujourd’hui les voyageurs.
Mirela kumbaro, ancienne ministre albanaise de la culture : « La ville de Korce en soi, c’est une ville occidentale, mais cela est du à l’influence, pas seulement européenne, mais, disons, concrètement française très très forte. C’est une influence, qui a marqué les esprits des citoyens de Korce ».
Au 19 siècle, l’empire ottoman est affaibli sur divers fronts et, profitant de son délitement, la jeunesse de Korce se révolte. En 1912, le pays acquiert son indépendance, mais retombera sous le joug grec une année plus tard.
Ce sont finalement les Français qui vont les libérer.
Avant de quitter le pays à la fin de la grande guerre, en 1918, ils construiront un lycée français et laisseront leur empreinte partout dans la ville.
Mirela Kumbaro : « Tous ces bâtiments, ces villages du style néoclassique. Des portes, des fenêtres, des décorations des façades sont typiques de cette période, où l’on ressent aussi cet esprit français sur le plan de l’architecture »
Ce n’est qu’à la fin de la seconde guerre que l’Albanie cessera de voir les drapeaux étrangers flotter sur ses toits, mais le pays devra encore affronter la dictature communiste, qui va régner pendant 40 ans. En 1991, enfin, l albanie accède à la démocratie et sort de la grisaille.
Mirela Kumbaro : “«On est au coeur du bazar, au coeur mais, en même temps, à l’entrée de l’ancien bazar. L’une des partie du centre historique de la ville, mais aussi du patrimoine culturel albanais. Et si on vit attentivement les couleurs des façades, les couleurs ocres, aussi bien que le rouge foncé, du plus foncé au plus clair, ce sont effectivement des couleurs que nous trouvons à Korce tout autour de l’histoire. On a respecté l’histoire, tout en donnant de la vie au lieu. On ne voulait pas une nature morte. On voulait un lieu qui vit au jour le jour, et la nuit aussi… »
Après une longue nuit de 20 siècles, l’Albanie a les accents d’un pays entre deux mondes. Avec une âme orientale et un esprit européen, il est comme la via Egnatia.
Un carrefour de civilisations et de cultures.
Un formidable instrument qui a permis aux Albanais de voyager vers la liberté …
Ce documentaire, réalisé par Djaffer Ait Aoudia,
a été diffusé sur Arte, en 2018