Un rapport de l’Organisation Mondiale de Lutte contre la Corruption (OMSAC), basée à Genève, lance des accusations graves sur la Fédération Africaine du Football et sur la Fifa : corruptions, magouilles, pots de vin… Mourad Mazar, son président, revient dans le détail sur cette enquête qui a défrayé la chronique.
Le Correspondant : Dans votre rapport, vous revenez sur le match de qualification à la prochaine coupe du monde, qui a opposé l’Algérie au Cameroun et vous accusez l’arbitre central, le Gambien Bakary Gassama, d’avoir influencé le score final, en faveur du Cameroun. Vous dites qu’il n’a pas tenu compte des mises en gardes de ses collègues allemands de la VAR. Vous dites même que l’OMSAC détient des enregistrements vidéo, qui l’accablent.
Mourad Mazar : Personnellement, je n’ai pas participé à cette enquête, c’est mon département investigation qui s’en est chargé. Ses recherches et ses contacts au niveau de la Fifa ont permis de rassembler un certain nombre de preuves et de confirmer, avec certitude, l’existence de ces enregistrements. Donc, oui, cette vidéo est dans le dossier et est actuellement entre les mains de la FIFA.
Dans votre communiqué, vous allez encore plus loin : vous vous attaquez directement à la FIFA et au président de la Fédération Camerounaise de Football, Samuel Eto’o. Vous dites posséder des preuves qui les impliqueraient dans un scandale de corruption. Ces accusations sont graves…
Le match Algérie-Cameroun n’est qu’une petite goutte d’eau dans un océan de magouille. Prenez la dernière Coupe d’Afrique des Nations, qui a eu lieu au Cameroun… Durant cette compétition, les petits arrangements entre amis avaient atteint des sommets, il y a eu même trucage du tirage au sort. La FIFA avait été prévenu par un lanceur d’alerte, mais elle ne lui a jamais répondu. C’est regrettable. Mais ce qui est arrivé, quelques jours plus tard, à ce lanceur d’alerte, l’est encore davantage. Comme par hasard, il a été agressé, sa voiture vandalisée, sa maison cambriolée. Aujourd’hui, l’affaire est entre les mains de la police Française.
Enfin, je vous dis tout cela pour vous confirmer que le match Algérie-Cameroun n’est que la face visible de l’iceberg. Le dossier de corruption est lourd et ne concerne pas uniquement le Cameroun. J’ai, personnellement, des éléments prouvant une tentative de corruption de la part de certains Algériens. Cette information a longtemps circulé dans des milieux très fermés : des personnes se sont arrangées avec Bakary Gassama, pour qu’il reçoive une enveloppe au match-retour. Mais cet arrangement a pris fin lorsque les fennecs ont gagné à Japoma. C’est à partir de ce moment-là que Gassama a accepté l’autre offre, celle du Cameroun.
Avez-vous des éléments qui prouvent toutes ces magouilles ?
Oui, bien sûr. La crédibilité de l’information est dans les documents. Nous avons, par exemple, un document bancaire qui le prouve. C’est un relevé de la banque gambienne Trust LTD, dans lequel on voit deux virements sur le compte de Bakary Gassama. Quelques jours seulement avant le match retour.
Figurez-vous que le premier émane directement de la Fondation de Samuel Eto’o, le président de la Fédération Camerounaise de Football et membre de la FIFA. Le second, ps moins scandaleux, vient d’une société, qui appartient au même Samuel Eto’o. On me dira que ces documents sont des faux, mais qui peut le prouver, qui peut dire le contraire, tant qu’une enquête sérieuse de la Fifa n’aura pas été diligentée pour nous éclairer.
Il semblerait que Eto’o possède une société de pari sportif, est-ce vrai ?
Oui. C’est vrai. Là encore, nous avons des preuves qui ne trompent pas. Cette société s’appelle « Betoo ». Et franchement, est-ce normal qu’un président de Fédération membre de la FIFA, possède une société de pari sportif ?
Pis encore : nous avons aussi une vidéo, qui retranscrit une discussion suspecte entre l’ex international égyptien, Mohamed Mido et Eto’o, lors d’un match qui a opposé les pharaons aux lions indomptables. Eto’o lui avait demandé de combiner le match en défaveur de l’Algérie.
Vous êtes algérien, certains vous accusent de faire du lobbying en faveur de votre pays… Qu’avez-vous à leurs répondre ?
Pour être sincère avec vous, dans ce dossier Algérie-Cameroun, je n’ai pas voulu m’y investir et m’y impliquer directement ou indirectement, pour ne pas créer de polémique et donner ainsi l’occasion à certains de m’accuser de conflit d’intérêts. J’ai laissé mon équipe enquêter en toute indépendance et je ne m’y suis vraiment impliqué qu’à la réception de ses conclusions.
Ceux qui me connaissent vous diront que je ne suis un homme intègre. Anti-clan. Je fais mon travail. Point. Même un ami, quand il avait fauté, je ne l’ai pas épargné. Je pense à l’ancien secrétaire général de la FIFA, Monsieur Sepp Blatter ou encore à Issa Hayatou, l’ancien président de la CAF …
Mon ambition n’est donc pas de faire du lobbying, mais de changer les choses, comme lorsque j’ai réussi à convaincre la FIFA de laisser les binationaux jouer dans leur pays d’origine. Ce qui a donné naissance à la loi Bahamas.
Mais quel est le rôle de l’OMSAC, concrètement ?
Notre organisation est spécialisée dans la lutte contre la corruption et autres activités illégales. Nous disposons de plusieurs bureaux un peu partout dans le monde. Aucune de nos enquêtes n’est rendue public, avant son approbation par nos services juridiques : plus de 90 avocats en Algérie, 70 en Égypte, en France, en Guinée, en Suisse et ailleurs. Nos enquêteurs sont des professionnels rompus aux terrains difficiles.
Justement … parlons de vos collaborateurs : pas d’adresse mail, pas de traces sur les réseaux sociaux, pas de numéros de téléphone pour les joindre… Certains doutent même de leur existence.
Quand vous travaillez dans une organisation, comme la nôtre, qui s’attaque à des gros bonnets, vous êtes obligé de prendre quelques précautions. Nous avons des enquêteurs qui travaillent dans l’ombre et qui préfèrent rester anonyme. D’autre le font pour protéger leurs vies privées. C’est notamment le cas d’Ahfaf Maisam, qui occupe une place importante dans notre organisation. Elle est Libyenne, mariée, et fait partie de la haute société de son pays. C’est aussi le cas de mon brillant collègue, François Aubriot. La rumeur le donne homme d’affaire, alors qu’il travaille dans une société Suisse de technologie. Le reste du temps, il est dévoué à la lutte contre la corruption dans le monde.
Dernière question : quelle issue pour cette affaire Algérie-Cameroun ?
Tous les Algériens veulent rejouer le match et aller au Qatar. Mais ce dossier est compliqué. En tous cas, je peux vous confirmer que nous ne sommes pas les seuls à y travailler pour rendre justice à l’équipe d’Algérie. Même le ministre de la Jeunesse et des sports parle de nouveaux éléments et de preuves… Arrivera-t-on à la renverser la table ? Je crains que ça ne soit pas pour demain la veille…