L’économie, le travail, l’école, la santé… rien ne marche vraiment en Haïti, écrit notre correspondant à Port-au-Prince. Tandis que la faim et le coronavirus continuent à faire des ravages, avec l’apparition du variant brésilien, le Président saute dans son hélicoptère pour passer quelques jours de vacances. Son choix de vaccin peut attendre …
De fait, les haïtiens sont obligés de louvoyer pour survivre. Comme Guerline Jean, vendeuse de fruits et légumes au marché Salomon, à Port au Prince. A elle-seule, elle représente tout le dilemme auquel sont confrontés les habitants cette petite île des Caraïbes : mourir de faim ou du Coronavirus. “Mais qu’allons-nous faire pour donner à manger nos enfants ?”, s’interroge-t-elle, d’emblée. “Je n’ai pas d’économies. Ce coronavirus ne peut pas m’empêcher de sortir”.
Sa copine, Lunie, avait son idée : donner des “somnifères à ses enfants, pour les aider à dormir et à oublier leur faim”. Mais quand elle a manqué de tuer l’un d’eux, elle a repris le travail : du matin au coucher, elle court les trottoirs à la recherche d’une passe. Il lui arrive d’en faire jusqu’à 5 par jour. Elle sait que c’est dangereux, mais hors de question de ranger sa jupette en cuir : “ce n’est pas de gaieté de coeur, mais c’est comme ça, dit-elle. Sinon, à la fin de cette épidémie, si il y a fin, je n’aurais plus un seul client”
Autour d’elle, même chaos : les sacs de bananes et les pièces de monnaies passent de mains en mains, mais pas de gants, pas de masques, pas de gel hydroalcoolique. Seulement une fontaine à proximité du marché, qui se sent un peu trop seule : “son eau n’est même pas potable”, lance un chaland, qui fait de l’oeil aux mesures gouvernementales de lutte contre la crise sanitaire, comme le confinement, l’interdiction de regroupement de plus de 10 personnes ou le couvre-feu. Pour lui, ce n’est même pas imaginable de “respecter quoi que ce soit”. Car “toutes ces mesures, c’est du copier-coller des dispositifs occidentaux, efficaces ailleurs, mais inadaptés à la situation sociale du pays”.
En partie, les chiffres lui donne raison : ici, l’inflation galope pour atteindre 15.5 %, le chômage explose, la croissance économique stagne à 1.5 %. Sur les 11 millions d’Haïtiens, 3,7 millions vivent en dessous du seuil de pauvreté. La situation est encore pire dans les zones reculées, difficiles d’accès à l’aide humanitaire – à cause des gangs qui font la loi sur les routes. Comble de l’ironie : le gouvernement, qui enchaîne les mesures, n’a encore rien prévu pour ceux qui n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent : pas d’allocations, pas d’aides alimentaires, pas de soutiens financiers. Et, en même temps, il ne s’embarrasse pas de faire les yeux doux à la communauté internationale pour clamer une aide d’urgence. Récemment, le Fond Monétaire International lui a versé 18 millions, mais… personne n’a encore vu la couleur de l’argent : le “butin” aurait été détourné !
C’est dans ce contexte très particulier que le pays s’apprête à se mettre sur son trente-et-un pour célébrer son carnaval annuel, mi-février. Certains craignent un tsunami. Mais d”autres l’attendent fébrilement : “ça me rapporte au moins 3 mois de salaires en un jour”, raconte Lyonel, un cuisinier. Lui aussi n’a que faire du Corona. Dans ce pays, il “mourra bien de quelques chose, même d’une maladie banale”, dit-il. Allusion à l’état des hôpitaux et du système de santé… “simplement malade”.
En effet, le pays ne dispose pas d’unité de soins adaptées aux maladies graves. Illustration qui se passe de tout commentaire : l’hôpital de Port-au-Prince tourne par alternance, à cause du réseau électrique qui fait des siennes – il fonctionne une fois sur deux. L’unité covid ? “Si l’on peut l’appeler ainsi, c’est une anti-chambre de la mort”, se confie un infirmier, qui égrène les manques : “il y a peu de masques, peu de tests, peu de seringues, peu de tout…”. Dans ces conditions, il faut “un miracle pour atteindre l’objectif de vaccination de 2,5 millions de personnes, d’ici à l’été”. En cause, une autre maladie plus grave : ce “satané gouvernement” de Jovenel Moïse, qui n’a même pas encore validé son choix de vaccin.