La mort de Djamel Menad, l’un des plus grands noms du football algérien, est enveloppée d’un silence pesant. Samedi matin, il s’éteignait à l’hôpital d’Alger, mais la presse locale préfère s’attarder sur sa brillante carrière plutôt que de creuser les raisons réelles de sa disparition. On évoque ses exploits à Nîmes, au Portugal, à la Jeunesse Sportive de Kabylie et en équipe nationale algérienne, mais personne ne semble vouloir mentionner la mystérieuse « courte maladie » qui l’a emporté. Un euphémisme bien commode pour une histoire plus sombre, qu’on préfère ignorer.
Mais personne n’est dupe. Menad, comme de nombreux autres joueurs algériens, a probablement été victime du dopage, lors de la Coupe du Monde de 1986. Des pilules, des substances interdites, administrées sans que les joueurs en aient vraiment conscience. Et, bien sûr, personne n’ose aujourd’hui établir un lien entre ces substances et sa mort, bien que la question demeure troublante. Ce n’est pas un hasard si plusieurs footballeurs, ayant joué lors des Coupes du Monde de 1982 et 1986, ont vu leurs enfants naître avec des malformations graves.
Menad, lui, a passé les 15 dernières années de sa vie à essayer de dénoncer cette mascarade, accusant les responsables de l’époque de les nourrir de « petits cachetons jaunes » prétendument « vitaminés ». Qui étaient les responsables ? Guenadi Rogov et Zdravko Rajkov, l’un Russe, l’autre Yougoslave, les maîtres à penser de l’équipe entre 1982 et 1986. Ils étaient appuyés par une horde de médecins russes, ayant carte blanche pour gérer les entraînements, les stages, les suivis médicaux… et les dopages.
Leurs pouvoirs étaient si fort que les médecins algériens n’avaient même pas accès aux dossiers des joueurs, une situation qui a poussé certains à démissionner, après avoir tenté d’alerter le ministère. Mais à l’époque de Chadli Bendjedid, qui oserait se dresser contre ce système ? L’Algérie de cette époque était une copie conforme de l’Union Soviétique, où il était plus sage de se taire.
Ce n’est qu’après la chute du régime de Chadli, suivie par une guerre civile dévastatrice, que l’affaire a commencé à émerger. C’est Mohamed Chaib et Kaci Said, deux anciens joueurs des sélections de 1982 et 1986, qui ont mis le feu aux poudres, en 2010. dans Le Buteur, ils ont raconté le calvaire vécu par leurs enfants, tous nés handicapés. Chaib, en particulier, a perdu trois filles, dont l’aînée est décédée avant ses vingt ans.
Plus tard, Djamel Menad a pris la parole. Dans une émission de télévision, il apparaissait aux côtés de sa fille, victime d’une agénésie du corps calleux, une pathologie entraînant faiblesse musculaire et crises d’épilepsies. Dans la foulée, Menad et d’autres joueurs avaient déposé plainte, mais leurs demandes sont restées sans suite. Le silence a prévalu.
Et voilà que ce samedi matin, Menad succombe à un cancer foudroyant. Un cancer, certes, mais la question reste en suspens : ce mal qui l’a emporté a-t-il un lien avec ces fameuses pilules ? On ne peut pas le prouver, mais on sait que le dopage peut jouer un rôle dans certains cancers, notamment le cancer des testicules, qui a frappé plusieurs sportifs de haut niveau, dans les années 80, dont des cyclistes du Tour de France.
C’est d’ailleurs dans l’Union Soviétique de ces années-là, le pays natal des deux médecins qui ont « empoisonné » les joueurs algériens, que le dopage était érigé en sport national. Des centaines de médecins, endocrinologues, spécialistes en pharmacologie se sont régalés à ruiner la santé des athlètes, poussés par un système obsédé par la performance à tout prix.
Ce dopage systématique n’était pas une simple aberration, mais une machine de destruction méticuleusement orchestrée. Dix mille athlètes ont été sacrifiés sur l’autel de la performane. Rolf Gläser, un entraîneur de natation devenu sinistre témoin de ce cauchemar, avoue en 1998 avoir donné à des jeunes nageuses des comprimés de oral-turinabol, un stéroïde anabolisant qui allait non seulement détruire leur corps, mais aussi leur avenir.
Le bilan ? Un millier de sportifs, frappés par des maladies graves, un nombre incalculable d’enfants nés avec des malformations congénitales. Parmi eux, Karen Koenig, ancienne championne d’Europe, qui, après des années de dopage, donne naissance à un enfant « anormal » – un euphémisme pour désigner un être humain brisé avant même d’avoir appris à jouer. Et ce n’est pas un cas isolé.
Barbara Krause, autre victime de cette mascarade, a mis au monde deux enfants malformés. Leur malheur est devenu la norme pour une génération sacrifiée sur le banc de touche de la science dévoyée et de l’ambition débridée. Lors d’un procès en 2000, Karen Koenig révèle l’envers du décor : « On nous donnait des pilules trois fois par jour. On tentait de les jeter, mais l’entraîneur s’assurait que nous les prenions. Beaucoup pensent que nous étions folles de nous doper pour des médailles, mais c’était un choix imposé. »
Christiane Knacke-Sommer, médaillée de bronze aux JO de 1980, partage son histoire : elle aussi a pris ces pilules aux couleurs étranges – rouges, jaunes, vertes, bleues – comme une promesse de performance, mais surtout comme un poison déguisé en solution miracle. Sa fille, née en 1983, est morte à cause des pilules ingurgitées pendant la grossesse.
Et les athlètes masculins ? Ont-ils eux aussi été les cobayes de cette expérimentation criminelle ? Djamel Menad, lui, se souvient des pilules jaunes. Étaient-ce les mêmes utilisées pour détruire le corps des athlètes est-allemands ? Si les couleurs varient, les effets sont les mêmes : des ravages à tous les niveaux. Les stéroïdes anabolisants, eux, sont là, en embuscade. La Nandrolone, qui détruit les organes internes, se cache sous une couleur bleue, en attendant son heure fatale.
La vérité est simple : les athlètes est-allemands, dopés, souffrent aujourd’hui de graves troubles de la santé – du cœur, du foie, de cancers, de troubles gynécologiques, et bien sûr, de morts prématurées. Le dopage ne détruit pas seulement des carrières, il tue et déforme les êtres. Il ne reste que les cicatrices, visibles ou invisibles, celles de ce programme criminel qui, non content d’avoir volé des médailles, a aussi volé des vies.
Rip, Menad !